Ma femme était belle et douce, je l’aimais d’un amour particulier. Depuis que nous nous étions mariés, un an plus tôt, je ne pouvais m’empêcher de la surveiller de façon obsessionnelle. Elle sortait, je la suivais, elle téléphonait, je tendais l’oreille ; elle s’enfermait dans la salle de bain, je fouillais son sac. C’était devenu une habitude, j’étais son double, son ombre. Jamais elle ne me faisait une seule réflexion à ce sujet. Quand elle rentrait, je lui demandais où elle était allée et elle me racontait sa journée. Sauf mardi dernier où elle me répondit.
- Mais tu le sais bien !
Je répliquai le plus naturellement du monde.
- Comment le saurais-je ? J’ai travaillé ici tout l’après-midi.
Elle se contenta de sourire, de déposer un baiser sur mon front et, le soir, je m’endormis en elle.
Sans doute se lassa-t-elle d’être surveillée, et ce qu’elle prit au début pour une marque d’amour devint pour elle un supplice. Hier, elle était assise à la terrasse d’un café avec un homme. Elle dut m’apercevoir puisqu’elle me fit un signe. Je ne pus faire autrement que d’aller vers elle. L’homme assis à sa table était quelconque, il portait un costume foncé et ses cheveux grisonnants donnaient à son visage un air paisible.
- Jean, dit-elle d’une voix calme, je te présente mon futur amant.
L’homme qui l'accompagnait ne broncha pas.
- Paul sera mon amant cette après-midi, ajouta-t-elle. Je préfère t’avertir. J’ai loué une chambre à l’hôtel de la cathédrale, à 16 heures. Je rentrerai tard, ne m’attends pas.
Je crois que je suis partie sans rien dire, je ne me souviens plus. J’ai passé une fin d’après midi infernale à les imaginer en train de faire l’amour. J’entendais même leurs râles et je dus me boucher les oreilles. Ce soir-là, elle revint beaucoup plus tard qu’à l’habitude. Je fis semblant de rien. Elle aussi. En la voyant s’endormir de façon sereine alors que l’insomnie me terrassait, une idée me vint ; et je savais que je ne trouverais la paix que lorsque je serais passé à l’acte : il me fallait la tuer.