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Les hommes sont partis au petit jour

Publié le 01 mars 2009 par Unepageparjour

Les hommes sont partis au petit jour. Cachée dans ma peau de louve, tapie dans les herbes hautes, malgré Rio, mon enfant, blotti contre mes seins, je les suis. Ils ne m’entendent pas, ne me voient pas, tout occupés qu’ils sont à sentir le vent, étudier les traces sur la terre encore humide, à la lisière de la forêt. Je veux voir les grands troupeaux, les bêtes sauvages et mugissantes, je veux les voir à l’œuvre, les chasseurs de ma tribu, courir derrière ces monstres vigoureux, crier, sauter dans la poussière levée par les sabots, frapper ces colosses à la chair lourde, éviter les cornes agiles, éloigner les mâles dominants et capturer les jeunes plus frêles.

Hack, le père de mon enfant, sans aucun doute, Hack, le géant, sa massue de chêne et de silex, si légère dans ses mains si rudes, qui hurlent aujourd’hui encore sur mon corps qu’elles ont meurtri, Hack, ouvre la longue colonne des chasseurs. Il domine tout le groupe, de la tête et des épaules. Son flair le porte sous la brise, là où sont passés les bêtes. Il sait reconnaître le frôlement d’un flanc de bison sur un feuillage, il sait lire la trace des taureaux dans une rivière, il comprend les mouvements de l’air derrière le vol des oies grises. Il sait aussi éviter d’imprimer ses propres pas dans la glaise, il sait dissimuler son odeur pour ne pas éveiller les prédateurs, les lionnes et les loups qui rôdent, au-delà des larges prairies, il sait aussi se déplacer dans le silence, pour surprendre les hommes du fleuve, les autres, les mauvais, les mangeurs de poissons, à la peau d’os, au regard de pierre et aux chevelures d’herbes séchées.

Le matin frais monte de la terre. Malgré la fourrure de la louve, le froid me pénètre, mord mes os, me crève le ventre. Je sens Rio qui frissonne, collé contre ma peau. Il ne faut pas qu’il pleure, les hommes me tueraient peut-être, s’ils me savaient derrière eux, cachée dans leur sillage, au risque de faire rater l’expédition. La tribu a faim. Les chasseurs sont souvent rentrés les mains vides, ces derniers temps, par la faute du vent et de la malchance. Hack a promis hier soir de ramener un festin. Il nous a ordonné, à nous les femmes, de monter un grand feu, de chercher des pierres plates pour y déposer les quartiers fumants, de cueillir les fruits sucrés, de déterrer les racines savoureuses, d’arracher des herbes odorantes, de racler nos gorge, aussi, pour que nous chantions jusqu’au lever de la lune, haut et fort, de nous baigner dans l’étang, aussi, pour que nos corps luisent. Ce sera fête, ce soir ! Hack nous l’a promis.

Je me contente de les suivre. Je me suis faufilée hors de la grotte, quand ils préparaient les armes. Les autres femmes ne s’en sont pas aperçues non plus, certaines allaitaient, d’autres nettoyaient le fond de notre caverne, d’autres encore, ajoutaient des branches dans le feu de la nuit, qui claquaient d’un grand cri dans le baiser des flammes. Elles m’en voudront sans doute, mais qu’importe, je dois absolument voir les troupeaux sauvages, même si, un jour, je dois en mourir.


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