Le souverainisme est une maladie grave, qui frappe tous les eurosceptiques.
Cette catégorie n'a pourtant pas une grande signification politique, et j'aimerais démontrer qu'un démocrate est forcément souverainiste.
En démocratie, le pouvoir réside dans une collectivité de citoyens, qui détient collectivement un droit d'auto-détermination. Ces droits peuvent être conditionnés (au respect des Droits de l'Homme,
par exemple), mais c'est l'existence de ces droits qui ouvre un espace démocratique.
La possession de ces droits politiques par un collectif s'appelle la souveraineté. Un collectif qui ne serait pas souverain peut rester chez lui le jour des élections : s'il n'y a rien à décider,
il n'y a pas plus de souveraineté que de démocratie, les deux termes sont indissociables.
Politiquement, le souverainisme est une catégorie presque vide : on y rattache les courants de droite eurosceptiques, qui se sont appelés souverainistes pour se rattacher à un concept positif.
Immédiatement, le terme a revêtu de ce fait une connotation négative.
Au Québec, les souverainistes sont, plus justement, des indépendantistes - susceptibles d'accepter éventuellement un fédéralisme pas trop contraignant, mais désireux de former un corps politique
autonome (revendication que les bien-pensants européens ont trouvé récemment formidable au Kosovo, mais ne supportent guère ailleurs.) Le souverainisme québecois a d'ailleurs moins mauvaise presse,
car il ne porte pas ombre à l'Union des 27 (encore que, Sarkozy raillant le souverainisme
québecois a bien une idée derrière la tête).
Il ne peut, de toute façon, guère en aller autrement car, que revendiquent au fond les défenseurs d'une Europe unie ? Un souverainisme des 27, rien de moins, rien de plus. Ils souhaitent que
l'Union forme un corps politique souverain, compétent pour décider d'une politique monétaire, militaire, policière, douanière, pénale...
Ils n'ont généralement pas le courage de l'avouer, et vous présentent chaque nouvelle réforme comme une petite paille qui aura vite fait de plier sous le poids des affreuses souverainetés
nationales.
Sauf que, de fil en aiguille, l'Union dispose de la plupart des compétences d'un état souverain (certes, non démocratique : la souveraineté est une condition non suffisante ; la démocratie suppose
que le suffrage universel permette de décider des orientations politiques, pas de faire semblant.)
J'exprimais récemment le souhait que la communauté financière internationale aide massivement l'Europe de l'est.
Réplique immédiate d'un européen enthousiaste : "L'intervention massive du FMI ou pire, des Etats-Unis, dans des pays de la zone euro, c'est la fin de la zone euro. Oui, il y a des hésitations,
un manque de choix : celui de la solidarité ; et oui ces hésitations font perdre un temps précieux à un moment critique.
Mais qu'est-ce que ça veut dire "la communauté financière internationale" ? Déjà la communauté internationale est un mythe, mais alors la communauté financière internationale, là...rien de plus
hétérogène en terme de poids relatifs des régions, des pays, en terme d'intérêts à défendre."
Ces arguments illustrent magnifiquement le point aveugle de la pensée européenne, qui se croit ouverte et qui n'est que confinée à un espace suffisamment vaste pour que, vu du milieu, on en
n'aperçoive pas les frontières. Intervention du FMI ou, pire des Etats-Unis ? Horreur ! Communauté financière internationale ? Quel scandale ? Internationalisme ? De qui vous moquez-vous ?
On croirait Joseph de Maistre s'écriant "montrez-moi un homme" !
Et là, le bouquet final d'une communauté financière internationale qui serait trop "hétérogène en terme de poids relatifs des régions, des pays, en terme d'intérêts à défendre." Un beau
portrait de l'Union européenne...
Bref, ce que réclame à cor et à cris cet européen aveuglé, c'est une souveraineté européenne, un "ça me suffit" agrandi, d'où enfin le monde extérieur sera absent.
Voilà pourquoi l'appellation de souverainisme ne devrait effrayer personne : il faut un corps souverain pour bâtir une démocratie, même si ce n'est pas suffisant. Si les pro-européens avaient deux
doigts de jugeotte et de sincérité, ils réclameraient pour leur Union une souveraineté pleine et entière, plutôt que d'en arracher aux peuples les morceaux petit bout par petit bout, avec force
dénégations. Faute de quoi, à défaut de souverainisme avoué, ils verseront dans la tyrannie.