Le philosophe à lunette (1)

Il s’est calé contre une cheminée, dans une position somme toute inconfortable, mais peu importe. L’important, c’est l’angle, et il a de quoi se réjouir : il voit très bien, la distance est idéale. S’il se réjouit, cela ne se voit pas, car il est déjà concentré.
A cinquante mètres de là, l’appartement est vide. Les rideaux sont grands ouverts, c’est un peu désordonné, comme intérieur, mais c’est gai, tout à fait à son image. Elle est guillerette, cette fille, elle avance d’un pas sautillant ; à la limite, on pourrait la soupçonner d’être légère et plaisante à dessein. C’est bien simple, elle sourit à tout le monde, même à la vieille dame qui grommelle quand elles se retrouvent nez à nez sur le trottoir. C’est elle qui s’écarte, d’un petit pas alerte sur le côté, elle aurait même envie de donner une caresse au chien fagoté de carreaux noirs et rouges, mais il cavale déjà derrière les pieds déformés de son acariâtre maîtresse. Son âge ? Dans les vingt-cinq ans. Elle n’a pas eu le temps de rater grand chose, c’est pourquoi, sans doute, elle semble aussi sémillante. A vrai dire, son bonheur a une source tout à fait légitime qui justifierait toutes les extravagances : elle est amoureuse, la petite.
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