Et vous avez aussi remarqué, donc, qu’on a tendance à accorder le titre d’homme ou de femme à des individus dont la variétés des apparences n’est pas sans rappeler celle des engeances canines évoquées plus haut, juste au dessus, si vous suivez.
Si vous lisez cet articles en partant de la fin, c’est certainement moins clair…
L’être canin est le meilleur ami de l’être humain.
Egratignons d’entrée ce douteux truisme, qui n’a rien à voir avec Madame Cochon, dont nous avons dit le plus grand bien, ainsi que de son époux, il y a quelques temps dans cette même rubrique, et tant qu’à faire égratignons le à coup de bulldozer, ça sera pas un mal.
Personnellement je ne suis le meilleur ami d’aucun chien, ni même d’aucune chienne. Ho la ! Reposez tout de suite votre combiné téléphonique avec lequel vous vous apprêtiez à porter plainte auprès de la SPA, je ne suis pas non plus le meilleur ennemi de cette anomalie animale. Il y a bien pire que moi, et je n’ai jamais fait de mal à un chien. Ni à une chienne.
Mais que(ue) voulez-vous, je n’y arrive pas. Les chiens, j’y arrive pas. Les chiennes non plus. Il est a noté d’ailleurs que les deux ont cette sale manie de remuer la queue. Alors je m’y perds. Et pour un mec fragile comme moi, c’est pas bon de s’y perdre.
Pourquoi je n’y arrive pas. Je pourrais répondre avec ces colliers de banalités qui vont du chien de garde au chien policier en faisant un arrêt chez le chien de chasse. Mais est-ce digne de moi ? Non, bien sur ! C’est vrai qu’un chien, on lui lance un bâton ou une baballe et il rapporte. Entre nous c’est tout ce qu’il rapporte. Mais a-t-on vraiment bien expérimenté le lancé de chat : après tout qui dit qu’avec un peu de persévérance le félin ne reviendrait pas lui aussi ? Je pourrais aussi me livrer à cette description sans concession des promenades pour le caca ou le pipi de l’animal, dans les petits matins tapis sous des brumes froides où sous des soirs plus mornes qu’un crime dans un roman de Simenon, avec le maître ou la maîtresse qui poireaute, pendant que Lucrèce ou Roudoudou cherche son bout de trottoir idéal afin d’y abandonner son étron. Je pourrais, tant que j’y suis, vitupérer sur les curieux bipèdes qui manifestent leur amour des animaux en enfermant des chiens grands comme des mobylettes dans des appartements petits comme des clapiers, sur les mémères multi liftées qui s’imaginent que leur Lolita de Grompenschtroumf, pure race attestée, aurait elle aussi besoin de fréquenter des salons de beauté quatre fois par semaine, et sur les ceux qui en ont, et qui les protègent en arborant au bout d’une laisse à triple chaîne en acier trempé un toutou aussi engageant qu’un vigile néo nazi shooté au crack.
Je pourrais. Mais là n’est pas le fond du problème.
Le fond du problème c’est le fond du regard du chien. Ou de la chienne.
Existe-t-il un endroit au monde où se trouve concentré avec plus de désespérance l’état de vanité du tout et du rien, l’agitation du monde, la fuite du temps, la vacuité des ambitions, l’improbabilité de nos survies, nos avenirs de vers de terre, nos efforts pour nous accrocher, nous raccrocher, nous y croire, nous y voir et quelquefois même nous y croiser et nous y rencontrer, avec plus de désespérance l’état de vanité, le grand malheur universel, que dans les yeux d’un chien. Ou d’une chienne. Tout en remuant la queue.
Non.
Lorsqu’un chien, ou une chienne, me regarde j’ai toujours l’impression qu’il ou elle me dit : « Ok, t’as pas la gaz, mais te décourage pas : t’habites quand même au huitième étage. »
Le chien, quelque soit son sexe, n’a aucun avenir. Il mange sa pâtée, se gratte des puces réelles ou imaginaires, parce qu’il faut qu’il se gratte, et va de temps à autre poser sa bonne gueule de rescapé provisoire sur les genoux de son ou de sa propriétaire pour lui rappeler que ce n’est plus la peine, pendant que celle-ci, ou celui-là, voit défiler sur son écran les images en boucles des misères et des atrocités qui ont suivi leur cours tout au long du jour, dans des reportages déjà dépassés par l’actualité.
Et puis le chien aboie. Et ça, c’est carrément insupportable.
Je me souviens, il y a très longtemps, avoir séjourner dans une immense ville d’Amérique du Sud, dont la moitié était constituée de bidonvilles. Là-bas on dit favelas : c’est plus pimpant. Une quantité incroyable de chiens erraient dans les rues. Et se livraient la nuit à des concerts d’aboiements absolument dantesques. Fortuitement y’avait pas le gaz, et j’étais en rez-de-chaussée. C’est sans doute à cette double coïncidence que je dois d’avoir survécu.
Pour parfaire quelque peu cette approche du client préféré de Royal Canin, notons ceci : le chien n’est pas seulement le meilleur ami de l’homme ou de la femme, à moins qu’il ne s’agisse d’une chienne, le chien veux-je dire, pas la femme évidemment, non, le chien est également le meilleur ami du Président de la République.
Je me suis fait cette réflexion au début lorsque nous avons assisté à l’installation dans ses nouveaux logis de l’Actuel Occupant de l’Elysée. En effet Pompidou avait un chien. Giscard avait un chien. Mitterrand avait un chien. Chirac avait un chien. Et Rolex-Man n’en a pas. Enfin, croyais-je. En fait il en un d’une race très spéciale. C’est d’ailleurs la première fois qu’on en voit un de cette espèce parvenir à ce niveau de notoriété. C’est un Frédéric Lefevre. En fait c’est un hybride de laboratoire. Cela se reconnaît à ces petits yeux durs de volaille de batterie et au fait qu’on ne lui voit jamais remuer la queue. Un modèle, on le voit, tout à fait adapté à son maître dont, dans certains cas, le regard mêlé d’impuissance et d’arrogance n’est pas non plus sans rappeler celui du cocker : un chien connu pour cacher derrière son apparence de bon cabot une agressivité pataude bien que très agaçante.