Mon cher Victor,
Alors autant te le dire tout de suite avant que tu ne m'incendies : aujourd'hui, je suis dans un état lamentable ! J'ai eu des maux de ventre toute la journée, j'ai froid et chaud en
même temps et je suis complètement stressée... Allons bon ! Des nouvelles de ton école de la première semaine ? J'ai appelé la
circonscription dont je vais dépendre pour la première semaine et la chance m'a encore souri ! Aaaah ! Ton postérieur est bordé de nouilles
! Eh oui. Je suis dans une ville pas trop loin de chez moi, pas dans un bled paumé ! J'ai un simple niveau : une GS, avec 20 élèves ! Et en
plus, le directeur, que j'ai eu au bout du fil quand j'ai appelé l'école , m'a l'air très très très gentil. Il n'y a plus qu'à prier pour que la chance
ne te quitte pas de sitôt ! Tu imagines, Mirabelle, si tu avais un bon poste pour le mouvement de septembre ? Je n'ose même pas y penser !
Demain, 9 heures, pré-rentrée à l'école. J'ai beau savoir que je ne vais enseigner là-bas que le temps d'une semaine, je suis absolument morte de trouille. Je ne pense
qu'à cela. Je me sens complètement désamparée. Allons, allons, Mirabelle... Tu connais déjà la GS, tu en as eu lors de tes stages ! Certes. Il
n'empêche que j'ai du mal à imaginer à quoi ressemble une rentrée de GS... Même une rentrée tout court, d'ailleurs, puisque ce sera ta première en tant
qu'enseignante ! Oui, bon, c'est vrai, j'ai des circonstances atténuantes. Il n'empêche que j'ai peur, j'ai peur, j'ai peur. Tu auras encore plus
peur dans quinze jours, quand il s'agira de ton poste définitif ! Oh la la, ne m'en parle pas, ne m'en parle pas, ne m'en parle pas, ne m'en parle pas !
J'ai peur. Rien qu'à l'idée de savoir que mardi, je ferai la rentrée dans une classe, même si c'est pour une semaine, je pète de trouille. Je suis partagée entre le
besoin physique, désormais (parce que l'attente, franchement, ça me rend folle...) de SAVOIR, au moins SAVOIR où je serai définitivement, et celui d'arrêter le temps, parce que je crains
de ne pas être à la hauteur, parce qu'il faut grandir, parce qu'il faut devenir adulte, parce que, parce que, parce que... Plus on se rapproche de l'échéance, plus je fais de
cauchemars. J'ai du mal à m'endormir, et quand je parviens à trouver le sommeil, celui-ci ne m'assomme qu'à demi... Mes rêves sont peuplés de "fiche de voeux", de week-end turbo,
d'appartement que je ne trouve pas, de scooter que je ne sais pas conduire et que je ne sais pas relever, de "honte", de "honte", de "honte"... D'où vient cette
honte ? Je ne l'explique pas. Je ne veux pas l'expliquer. J'ai honte, c'est tout. Un manque de confiance en toi... Oui, sans
doute.
Le temps file à une vitesse folle. Nous sommes jeudi. Demain, pré-rentrée. Ensuite, un week-end dément à bosser, bosser, bosser, pour cette GS qui m'occupera pendant une
semaine. Et puis ce parachutage dans une école que je ne connais pas et dans laquelle je ne resterai pas. Jeudi soir, la fiche de voeu à remplir. La carte à examiner. Les moyens de
transports à trouver. Les cabinets de vétérinaire à repérer. S'assurer de l'existence de commerces alentours. Tout un tas de paramètres qui conditionneront la formulation de mes voeux. Et puis
rendre la fiche, avec la mention "pas de permis" sur la photocopie que je donnerai aux syndicats. Attendre vendredi midi et savoir, enfin. Savoir. A peine le temps de savourer le verdict et zou,
c'est reparti, un week-end à bosser pour ma classe définitive, à appeler les agences immobilières, à commencer le déménagement.
Hier soir, je me suis effondrée. Ca fait trop de choses à la fois. Il me semble que ma vie a besoin d'éclater en mille morceaux pour pouvoir commencer enfin. Qu'il faut que
je sois profondément angoissée, profondément malheureuse, pour trouver le bonheur dans quelques semaines, quand j'aurai chat et appartement. Il me semble que je dois jongler avec tout ça pour
finir plus forte, plus vivante. Il me semble que je suis un puzzle. Toutes mes pièces sont éparpillées. Il me faudra du temps pour les assembler toutes, beaucoup de temps, pour
qu'enfin apparaisse la beauté.