Magazine Journal intime

Grèves, universités et compagnie

Publié le 10 mars 2009 par Alainlecomte
Je me suis exprimé il y a un mois sur la grève dans l’enseignement supérieur et la recherche. J’ai alors soutenu qu’il fallait faire grève parce que, estimais-je, le décret sur les enseignants-chercheurs ouvrait une brèche dans la tradition d’indépendance des universitaires par rapport à leur employeur direct (en l’occurrence leur président d’université). J’ai soutenu ce point de vue de bonne foi. Plus tard, je me suis rétracté en partie car je me suis rendu compte que, ce faisant, on faisait la part belle aux enseignants dits « chercheurs » qui, à côté de leur activité d’enseignement, consacraient allègrement le reste de leur temps à tout autre chose que la recherche (mais à des activités plus juteuses, pouvant éventuellement inclure des montants pharamineux d’heures supplémentaires, dont un grand nombre souvent n’existaient que sur le papier). Bref, cette grève était en définitive corporatiste. Il ne fallait pas voir d’autre cause d’ailleurs au fait que les étudiants, d’habitude si enclins à emboîter le pas, restent, à cet instant, singulièrement passifs, certains arguant même du peu de soutien qu’ils avaient reçu l’année précédente contre la Loi dite « LRU » de la part des enseignants pour refuser d’entrer dans le mouvement. Il y avait là un bât qui blessait certains de mes chers collègues. Qu’à cela ne tienne, ont-ils pensé, on va entraîner les étudiants dans la grève en leur parlant d’un sujet qui les préoccupe : la réforme de la formation des maîtres (car bon nombre d’étudiants, il est vrai, viennent à l’université pour présenter le concours d’entrée à l’IUFM). Ce projet gouvernemental, qu’on appelle, pour faire bref la « masterisation », consiste, après avoir supprimé lesdits IUFM, à organiser la formation des enseignants du primaire au sein de l’université, dans des « masters » (bac + 5) spécialement conçus à cet effet. Dans un premier temps, un tel projet a rencontré les faveurs du monde universitaire pour des raisons bien simples : tout le monde (de gauche comme de droite) s’entendait assez bien pour juger la formation au sein des IUFM de médiocre qualité. Je n’ai jamais rencontré un professeur des écoles, formé à l’IUFM, qui m’ait dit du bien de la formation reçue : théorisations vaines sur le fait d’enseigner, savoirs élucubrés sur la meilleure manière d’organiser des « séquences » pédagogiques dispensés par des profs ayant perdu depuis belle lurette le contact avec les élèves réels etc. Très vite est apparu le souci de recentrer la formation des maîtres sur les savoirs positifs et la manière de les enseigner (français, calcul, histoire, géographie…).
De plus, on pouvait prévoir qu’un tel projet allait trouver sa place dans une harmonisation européenne, qui peut sembler souhaitable. A terme, cela aurait voulu dire entre autres s’en prendre au culte des concours (agreg, CAPES etc.) : la France est le seul pays d’Europe où l’accès à l’enseignement secondaire se fait via ce type d’épreuve, lequel passe, pour ses défenseurs, comme l’illustration parfaite de notre modèle « d’élitisme républicain » (tu parles !). Bref, on allait enfin pouvoir permettre, sans autre forme de procès, à des étudiants du niveau master de devenir professeurs des écoles, et à ceux ayant un doctorat, de devenir professeurs du secondaire. Une revendication vieille de quarante ans (car je me souviens que nous l’avions en mai 68) allait ainsi être satisfaite ! Las, c’était sans compter sans les réacs de tous poils, au premier rang desquels figurent bien sûr… les agrégés (qui sont tout de même nombreux dans notre système) et accessoirement tous ceux qui se nourrissent des savoirs élucubrés que je citais plus haut. On inventa donc la fable selon laquelle le fait de s’en prendre aux concours allait inéluctablement faire baisser le niveau des maîtres, et par contre-coup, dévaloriser leurs carrières. On essaya de mettre de telles idées dans la tête des étudiants. Il m’aura fallu ainsi atteindre mon grand âge pour entendre des enseignants de gauche, dans une université de gauche défendre… l’agrégation en tant que garante de l’égalité républicaine!
De fait, ladite agrégation n’est garante de rien du tout, si ce n’est du pire, étant l’outil de ségrégation numéro un au sein du système éducatif. Ségrégation : d’abord parce qu’il est bien évident que tous les candidats au concours n’ont pas les mêmes chances de l’obtenir. Il aura mieux valu le préparer dans tel établissement parisien que dans une ville de province. Et ségrégation ensuite parce que tous les familiers du monde de l’éducation auront pu, à un moment de leur vie, être témoins de l’exercice de cette sorte de sentiment de supériorité que confère à son possesseur l’onction du parchemin sacré : les agrégés méprisent les capétiens et les capétiens se vengent en regardant de très haut les pauvres qui n’ont rien. J’ai eu, en tant que directeur d’UFR (grosso modo « doyen de faculté ») dans le passé, à arbitrer des conflits entre agrégés et non agrégés dignes de Clochemerle : « mais enfin, disaient les premiers, nous avons tout de même réussi un concours très difficile ! » Et oui, bien sûr (encore que la difficulté a souvent varié selon les besoins en recrutement), mais c’est un peu comme si, afin d’atteindre une certaine position, on vous demandait d’être, une fois, capables de courir le 100 mètres en douze secondes, mais qu’après, on vous laissait tranquille pour le reste de vos jours, quitte à ce que vous deveniez totalement amorphes et immobiles.
On me dira sans doute que le projet actuel de masterisation a ceci de fâcheux qu’il supprime la dernière année, de stage pratique, qui était jusqu’à présent rétribuée. Certes. Mais est-ce que seuls les futurs enseignants en formation mériteraient une année de rétribution ? tous les étudiants s’engageant dans des études longues, à ce compte, ne la mériteraient-ils pas ? C’est une allocation d’études qu’il faut revendiquer, laquelle est sérieusement d’actualité au moment où la presse s’émeut (« Le Monde » du 10 mars) de ce que la tranche des 16-25 ans est celle qui connaît le plus fort taux de pauvreté dans la population. En continuant sur cet « émoi », je remarque d’ailleurs, toujours d’après la même source, que, selon le sociologue (Olivier Galland) qui a fait l’étude citée en référence, si les « jeunes entre 16 et 25 ans ont perdu foi en l’avenir », comme il est dit, c’est parce que le fameux modèle « d’élitisme républicain » est singulièrement en crise. « L’obsession du classement scolaire, qui est à la base de l’élitisme républicain, la vision dichotomique de la réussite qui sépare les vainqueurs et les vaincus de la sélection scolaire, mais également la faillite de l’orientation, aboutissent à un système qui élimine plutôt que de promouvoir le plus grand nombre ». Les vaincus, comme le dit ensuite le journaliste du « Monde », à juste titre, parfois écartés sans ménagement, sont découragés et atteints dans leur estime de soi. Une étude montre que le découragement s’amplifie au fur et à mesure que les élèves avancent dans leur scolarité.
D’où ma conclusion : et si, en réalité, en agitant comme un chiffon rouge, cette réforme de la formation des maîtres, au nez des étudiants, on ne faisait qu’un peu plus se moquer d’eux (et bien sûr, tirer la couverture à soi, dans le sens de la conservation des avantages et privilèges acquis), alors que les problèmes sont autres et que peut-être, cette même réforme commençait à s’attaquer au vrai nœud du problème ?
La petite Céline, qui est maline, avec ses jolies fossettes et ses yeux noisette derrière ses lunettes à monture marron, après une (énième) Assemblée Générale dite « d’information », me disait : « M’sieur, pourquoi on ne peut jamais poser les questions qui nous intéressent vraiment ? Moi, au lieu de discuter de leur dernière année rétribuée, je voulais demander pourquoi on ne disait jamais que ce qui compte pour faire ce métier, c’est de sentir en soi la vocation de le faire ? » Et oui, plutôt que de chercher avant tout à l’ensevelir sous des couches de discours sans signification….

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LES COMMENTAIRES (1)

Par Justine
posté le 04 mai à 11:46
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Bonjour, On peut voir pas mal de site pour exprimer les revendications des professeurs. Nous étudiants on aimerait savoir quand nos profs feront de nouveau cours ? Vous devez surement trouver ma question stupide mais j'aimerai sensibiliser les personnes sur notre 'cas', les médias ne parlent quasiment pas de ce qui se passe vraiment au sein de nos universités la faute à qui ? Je suis étudiante à l'université Paris X Nanterre et depuis maintenant le 7 février et nous sommes aujourd'hui le 4 mai (les cours sont censés finir le 15 juin) nos profs font grève. Je ne pense pas que je vous apprends quelque chose mais ce qui suit surement... Nous devons venir chaque jour (j'habite à 1h30 de la fac et je suis loin d'être la seule) pour entendre dire qu'ils font grève, nous nous déplaçons souvent pour rien ou d'être 'traités' comme les derniers des derniers! Ils nous donnent des bibliographies à rallonge, des dossiers à faire sans cours. Qui peut se permettre en 1 mois de lire 30 livres ? Tout le monde les emprunte, nous devons faire beaucoup de photocopies ou les acheter et cela a un coût, nous avons déjà payé notre année mais cela semble avoir été légérement oublié !!! La dernière décision de l'AG (des profs soyons clair, nous n'avons pas notre mot à dire !) est "grève illimité" c'est du jamais vu, quelle profession permet de faire grève indéfiniment ?! Comment reprocher aux jeunes leur démobilisation, c'est déjà dur de tenir dans ce système universitaire car rien n'est réellement contrôlé et on le voit aujourd'hui des profs font grève depuis des mois, nous avons payés notre année, nous venons à chaque cours mais rien ne change... En parlant des frais d'inscription ils augmentent chaque année. C'est même frais semblent être un des motifs de grève pour nos profs qui jusque là ne s'en souciaient pas puisque je le rappelle les frais augmentent chaque année tout comme le prix du ticket au restaurant universitaire ainsi que des sandwichs vendus sur le campus soit dit en passant. Ils se battent pour nous mais j'aimerai plus de sincérité car l'année dernière les étudiants se battaient contre la même loi d'autonomie des universités alors je leur demanderai pourquoi font ils grève aujourd'hui ? Pourquoi l'année dernière ne se sont ils pas mobilisés si ce sont pour ces réels motifs qu'ils se sont mis en grève ? Ont-ils peur que leur poste soit plus contrôlé ? En tout cas, nous étudiants on se sent délaissés, on se sent démunis. On ne veut pas passés pour des victimes, on aimerait plutôt être acteur (avoir une image beaucoup plus valorisante)comme nos chers professeurs nous le répètent chaque jour 'soyez acteur' sous entendu 'venez en manifestation'. Personnellement j'aimerai être acteur de ma vie... Pouvoir avoir cours, pouvoir faire ma vie, avoir un travail, serait-ce trop demandé ? Dans l'attente d'un changement qui pour certains profs ne viendra que quand le décret sera retiré, osons le dire maintenant, jamais, nous devons venir chaque jour à l'université pour ne pas avoir cours. Nous restons au plus 20 minutes pour entendre dire qu'ils ne feront pas cours et qu'ils ne savent pas la suite des évenements... Et ça c'est dans le meilleur des cas puisque bien souvent ils ne sont pas là alors que normalement ils doivent nous accueillir... Le semestre a été rallongé de deux semaines nous pensions que nous allions enfin avoir cours mais non ! Depuis cette nouvelle nous n'avons toujours pas cours alors qu'est-ce qu'il va se passer pour nous ? Est-ce que quelqu'un se soucie de notre sort ? Que devons-nous faire ? Nous voulons juste avoir cours, nous voulons tout simplement avoir la possibilité de pouvoir espérer avoir un avenir... On entend souvent les profs dire qu'ils le font pour nous, mais que font-ils pour nous ? Nous nous retrouvons sans cours, à venir en cours chaque jour alors que souvent nous avons 1h30 de trajet pour rien... Après on parle de motivation ? Pas étonnant que les jeunes se démobilisent... On dit souvent que les jeunes ne font plus rien, qu'ils ne croient plus en rien... Avant j'avais de l'espoir maintenant je dois avouer que j'en ai beaucoup moins !!