A l'occasion de l'ouverture du salon du livre et puisque cette fois encore je n'ai pas pensé à louer un stand, pas trop loin des caméras, je refile en place publique ce court texte, tous droits sortis du contexte de la polémique à propos du téléchargement d'oeuvres mineures sur le net. Textes free of charges, tout comme les 529 qui le précèdent et n'en sont pas moins libres d'être lus ou pas. Pas moins pas plus !
-Tu veux une baluche ? On se les caille avec nos mitaines graisseuses dans les entrailles gelées du diesel Massey Ferguson. Rien à faire, moins quatre, cette saleté veut pas démarrer. Alors il fait sortir de la poche de sa canadienne le paquet bleu et jaune, en frappe l'angle sur son pouce replié et la tige de douze bondit vers moi, entre le pouce et l'index je la tasse sur le capot ouvert et nous l'allumons de conserve. Lui il se la fiche au coin du bec et moi je l'imite. On est un peu lui et moi comme dans l'Angélus de Millet (A moins que ça ne soit l' Avé nu de Milet, je ne suis pas très féru en couvercles de boite de chocolats) sauf qu'aucune cloche ne nous rappelle que Dieu se sent seul et qu'il pique des crises bibliques quand on ne vient pas tout de suite se mettre à genoux. La cibiche, c'est pour le bout du nez, pour le silence, pour le petit brandon qui fait comme aux seiches l'encre, un épais nuage dans lequel disparaître, plongé dans ses réflexions, comme on dit. Lui et moi on les aime ces moments d'hommes nus dans le froid et le dégoût de la terre qui se laisse pas retourner comme un électeur. C'est pas qu'on aime pas l'horticulture, mais les fleurs, à certaines saisons vaut mieux les avoir en photos qu'en pension. Et puis aussi que le tracteur couche dehors. La maison en haut du terrain est petite. Lui et moi on est né dedans, dans les fleurs. A des époques éloignées, suffisamment pour que lui je l'appelle mon oncle et que lui le fasse par mon prénom, mon simple prénom mais qui dit par lui devient un truc magnifique.
Mon oncle c'est le swing qui le mène, c'est son anti-gel, ses années Quarante, ses soixante dix huit tours sous le bras, il déboule, dans son veston aux genoux, de la rue de Rosny ... ZaZ ! ZaZ ! ZaZ Zazou ! Arrivé à la croix des chevaux par la rue Galiéni, il entre chez Arlabosse où l'attendent les poteaux. Tous sapés comme des princes du Dimanche, tous Ellington dans le sourire, Tous Reinhart au bout des doigts, tous sous les semelles de bois quelque chose qui fait claquer des doigts. Lui, il chante, on le sollicite. Comment il chante, c'est mieux de pas trop en faire en le disant, je ne voudrais pas désespérer les chanteurs à textes des victoires de la Musak. Le Thomas Dutronc par exemple qui déclare, micro dans la narine que : "C'est un génocide culturel, le piratage" de ses leurres manouches, j'ajoute à la citation. Mon oncle quand il chante, je peux dire que les merles et les rossignols de mes amours remballent le barnum et s'inscrivent au premier radio crochet venu, celui de Radio Paris fera bien l'affaire. C'est à peu près tout. Il chante, il m'enchante. Et je me mets à fredonner à la scie quelques refrains à lui, dans mes années Soixante Dix, Quatre Vingt. Juste là où on se trouve, les pieds dans le bourbier, à attendre le dégel, la tige au bec.
On est pas des lumières, on a pas fait la guerre, il a pas fait chanteur, j'ai pas fait écrivain, on a pas été vain. On s'aimait je peux dire, et maintenant que les fleurs l'ont eut par la racine, je peux dire aussi que l'on s'aime encore.
Tiens mon Oncle, prends donc une clope !