Silence

Publié le 13 mars 2009 par Thywanek
Comme l’intérieur de ce qui est nu. Du corps dévêtu allongé sur le sofa. De la lumière blanche qui floue le grain de la peau. Sans musique. Immobilité. Image sans le son. Quelques voyants rouges, verts, bleus, disséminés. Certains qui clignotent. Une heure abstraite, affichée à la seconde près, dans les cristaux d’un cadran. Pas le moindre bruit qui provienne d’au delà des cloisons. Le lit défait et vide d’un fleuve et une source muette comme une bouche entrouverte, et une petite eau froide qui commence à couler d’un nid de pierres quelque part à l’abri d’une caverne.
Le silence.
Un écran sur la surface duquel défile le monde affolé.
Un autre sur lequel sont alignés des pages qui se suivent et tentent d’être un ruisseau.
Et tout extérieur est nu également.
Les objets, dans la clarté diurne, sans ombre. Inertes.
L’instance du dedans s’inquiète.
Un puit s’élargit au milieu du magma tiède où flottent les organes. Un effroi stoïque en fait remonter sous les paupières grandes ouvertes une question en chaîne qui répète le même anneau clos sur le précédent, sur le suivant, et chacun se brise en sortant sur un objet posé ici ou là, sur une pensée s’évaporant entre les murs et contre les vitres glacées.
Eteint le masque ambiant du bruit protéiforme qui enrobe le temps de scansions, de plages, de parole, de drapés, de couleurs, en une interminable excuse d’être absent au cœur de ce qui se tait.
Expérience de miniaturiste qui fabrique chaque pas d’un éclat importun aboli, en direction d’un dehors interne d’où voir progressivement disparaître la vitrine abusive des cités qui vibrent d’empressements. Rejoindre le désert de l’origine et espérer qu’une nouvelle faim s’installe dans le ventre vacant.
Laisser s’évanouir les fumées. Laisser menacer les équilibres précaires. Laisser s’alléger les charges qui encombrent les peines. Qui meublent d’occupations, de distractions, d’obligations et de fuites impromptues les éphémérides cousus dont l’arlequin déguise le seul cours de l’usure.
Reconquérir l’état d’être un, et pauvre, et peut-être déjà mort, en ceci que rien n’aurait été vécu, à part ce qui permet d’accepter d’être là contre l’aumône faite au souci du sens, et celle faite aux plusieurs, et mène l’illusion au milieu de ce qui brille, de ce qui éclate, de ce qui vrombit, de ce qui chasse l’obscurité, de ce qui a peur de soi si jamais survient une panne électrique.
Replier les paravents jusqu’à leurs brindilles. Les meubles jusqu’à leurs feuilles. Fondre les livres jusqu’à la sève. Les fétiches jusqu’à leur lave. Sans violence. Par le simple mouvement d’une déliquescence qui range petit à petit le décor par le trop plein.
Que renaissent, que reviennent, que réapparaissent, les pépites d’âmes atrophiées que la mémoire s’évertue à contenir dans les niches où la relèguent les trépidants devoirs de si souvent l’éviter, pour mille petits prétextes plus ou moins lâches, plus ou moins honnêtes, préférables et complaisants.
Et les voilà, dispersés, qui s’avancent du bout de l’oubli dans l’air sec et vacillant, fragments divers de pendules arrêtées, fusains diaphanes de visages éloignés, gestes en suspend de danses inachevées, pièces aux contours déchirés d’un puzzle déjoué.
Et le revoilà le cailloux aux micas sur lequel on a trébuché, croyant alors que là finissait cette route, au lieu de ne rien croire et de prendre ce clin de pierre comme une nouvelle provision.
Et le revoilà le passager réservé avec lequel on s’est entre pillé des harmonies de maladresses, des leçons de paresse, et que l’on a enfui sans avoir saisi quoi en être.
Et les revoilà. Raisons d’un avenir, tentations de comprendre classées dans le désordre de leur importance. Battements détachés du battement continu, rouages qu’on a démantelés pour les entasser dans une boite de clés aveugles.
Et les pelotes de papiers aux navettes de lignes serrées ou distendues, pansant des blancheurs innocentes de fils entremêlés le long d’une ininterruptible cicatrice, vitale, aux extrémités trempant dans un berceau de cris et dans une tombe vide.
Et les restes des traces semées en émois par des lèvres de mots perdus devenus mouches sucrées dans des abreuvoirs de baisers. Les chairs magnifiques vêtant d’une perpétuité intacte une chapelle crânienne entre deux paumes épanouies. Les souplesses sismiques des extérieurs condamnés que les sucs joignent en intrusions lovées de marées soulevées sur du néant vainqueur.
Souverain silence où tout renaît.
Plus immense et plus pillé que toutes les profondeurs marines.
Plus abattu et plus brûlé que toutes les forêts.
Plus ignoré qu’une langue qui meure.
Et qui, pourtant, onde spectrale, ne cesse de circuler à travers le monde. Autour des morts, des souffrants, des emmurés, des réfugiés, des exilés, des sans rien de fixe, des sans rien devant, sans eau, sans fleurs, sans pain, sans repos.
Silence de l’inaccompli. De ce qui attend d’être entendu. De venir. De repousser la foire des mots évidés, des professions de foi, des messages messianiques, des débats de dupes. De difracter les mosaïques des prières et des menaces. De convaincre les cris. De couvrir les ordres. De contraindre les meneurs et les meutes. De glisser avec soin sur les colères écartelées. D’insinuer dans les reins le retrait réparateur qui ouvrirait à assez d’épuisement pour que le plus bruyant s’y noie. De refleurir, grain de l’esprit d’un air lavé de ses cendres, sur les sols harassées, d’un vivant reposant aux oreilles étonnées.
Silence où je te sais plus que jamais.
Horizon sommeillant. Lande rêveuse. Dessinant près d’un piano fermé les élégants arpèges de notre apesanteur. Présent qui invente, inspiré de ton ailleurs inatteignable, pour cette heure diluée que je sers à ma mémoire à venir, la valse de demain et de maintenant qui meurt.
Dans un intérieur nu.
Dans le silence.
Un écran plein du monde affolé.
Un autre où s’alvéole une transe d’insecte.
Et tout extérieur, de même, nu.
Les objets, déshabillés dans la lumière du jour.
Et l’instance du dedans, enfin, qui s’inquiète.