Le Facebook de la pharmacie!

Publié le 12 mars 2009 par Pat La Fourmi

Bienvenue dans le monde de la recherche 2.0. Ou comment les firmes pharmaceutiques utilisent les réseaux sociaux pour recruter des sujets d'étude clinique.

Comme bien d'autres réseaux sociaux sur Internet, Inspire.com est un endroit où les utilisateurs exposent les détails les plus intimes de leur vie. Ils y cherchent des conseils pour tenir face à un cancer en phase terminale, ou prodiguent des encouragements à une mère qui doit décider ou non de mettre son prématuré en couveuse. Mais les presque 100.000 utilisateurs d'Inspire.com ne font pas qu'échanger entre eux (et avec les 62 organisations non-lucratives qui sont partenaires du site). Ils reçoivent également des informations ciblées de la part de firmes pharmaceutiques qui utilisent le site comme outil de recrutement pour l'expérimentation de médicaments. L'ouverture de cette porte entre patients et fabricants de médicaments offre des avantages évidents, mais pose un certain nombre de dilemmes médicaux et éthiques.

Côté positif, ceux qui luttent contre une maladie grave ou chronique ont la possibilité d'être informés d'essais cliniques ou de nouveaux traitements dont ils n'entendraient pas parler. Les firmes pharmaceutiques peuvent facilement accéder en ligne à une population très impliquée, et souffrant d'affections précises. Le fondateur d'Inspire, Brian Loew l'explique : "il se peut qu'on vous contacte pour vous informer de l'existence d'essais cliniques en cours, sur lesquels on vous donne tous les détails. Ensuite, la décision est entre vos mains. Il suffit au patient, s'il veut participer, de lever le doigt". Les réseaux sociaux permettent non seulement aux firmes pharmaceutiques de cibler une population très spécifique, ils leur permettent également de toucher des patients qui résident loin des grands centres médicaux, et qui généralement n'ont jamais entendu parler de ces études.


Une solution aux problèmes de recrutement ?


Le recrutement constitue depuis longtemps un goulot d'étranglement pour la recherche médicale. Sur les quelque 50.000 essais cliniques en cours aux Etats-Unis, 80% sont retardés d'au moins un mois du fait d'inscriptions en nombre insuffisant. Problème : les candidats potentiels sont souvent sceptiques, et préoccupés des dangers associés. "On constate une méfiance croissante envers l'industrie pharmaceutique et les essais cliniques" indique Ken Kaitlin, directeur du Center for the Study of Drug Development de l'Université Tufts de Boston. "Il n'est pas rare d'entendre parler de médicaments retirés du marché du fait de leur dangerosité… Ce qui alerte un peu plus le public". Les entreprises pharmaceutiques espèrent calmer ces peurs en construisant des partenariats avec des réseaux sociaux qu'ils pourront exploiter en vue de trouver des volontaires potentiels.

Loew a lancé Inspire en 2005, et consacré trois ans à récolter des adhérents, en partenariat avec des associations telles que The Lung Cancer Alliance (l'alliance contre le cancer du poumon, ndt) et la National Organization for Rare Disorders (association nationale des maladies rares, ndt). Aujourd'hui, aidées d'un noyau d'utilisateurs du site, deux grosses entreprises pharmaceutiques ont commencé à recruter en vue d'essais cliniques, le premier chez les malades d'un cancer du poumon, l'autre chez les personnes souffrant d'arthrite. Inspire travaille en ce moment à un partenariat avec deux autres entreprises pharmaceutiques. Ces firmes payent un forfait à Inspire pour le service de recrutement. La somme versée au site n'est pas liée au nombre de volontaires recrutés.
Trois des quatre firmes pharmaceutiques travaillant avec Inspire ont refusé de parler de leurs investissements dans les réseaux sociaux, ni même de révéler leur nom. La quatrième, Merck, a décliné plusieurs demandes d'interview, mais nous a fait parvenir un bref communiqué évoquant leur engagement en vue d'un "recrutement rapide et efficace des patients appropriés pour des essais ", afin de permettre le "développement le plus rapide possible de médicaments innovants".


Absence de retour sur expérience


Novartis, une des premières firmes pharmaceutiques à contacter des candidats via un réseau social pour des essais cliniques, s'est associée à PatientsLikeMe.com pour recruter en 2008 des sujets en vue de tester un traitement contre la sclérose en plaque. Les [réseaux sociaux] n'avaient pas encore été utilisés pour les essais cliniques", se souvient Trevor Muntel, directeur des recherches cliniques exploratoires chez Novartis. "À cette époque, nous avions beaucoup de mal à recruter des patients".
En mai 2008, le site envoie un message aux 8.000 patients de la communauté dédiée à la sclérose en plaque, attirant leur attention sur les essais menés par Novartis. Suite à ce courrier électronique, près de 1.500 membres se rendent sur le site web de Novartis. A la suite de cette opération de recrutement sur PatientsLikeMe.com, Novartis assiste à un bond des inscriptions à l'étude, bien que la firme n'ait pas enregistré combien ou quels candidats se sont inscrits suite à la campagne —afin de respecter l'obligation d'anonymat des patients. "Les inscriptions se sont mises à augmenter" dit Mundel. "Nous n'avons pas de données sur leur source, mais il est certain qu'une partie provient de notre campagne d'envoi de courriers électroniques"


Les organisations gouvernementales et non-lucratives hésitent encore à recruter sur les réseaux sociaux, en l'absence de retour sur expérience. TrialCheck, une base de données regroupant les études publiques et privées sur le cancer, s'intéresse aux réseaux sociaux, mais attend d'avoir plus d'informations. "Les patients souffrant d'un cancer doivent avoir accès à toutes les possibilités de traitement et pas seulement les quelques protocoles qui sont mis en avant", estime Dianne Colaizzi, porte-parole de la Coalition of Cancer Cooperative Groups. "Le problème, c'est de savoir comment le patient peut être assuré de la qualité de l'information qu'il trouve dans un réseau social. De nombreux sites sont dépourvus d'information médicale de haute qualité, émanant de sources de confiance".
La fiabilité de données provenant d'études dont les participants ont la possibilité de communiquer entre eux pose également problème. Ce n'est généralement pas le cas dans une étude médicale. Mais si vos sujets d'étude appartiennent au même réseau social, rien ne les empêche d'échanger suffisamment d'informations pour déterminer qui reçoit le vrai traitement, et qui reçoit le placebo, avec comme conséquence de "désaveugler" l'étude.
"Si vous savez à quoi vous attendre en lisant sur Internet ce qui se passe [chez les autres patients], les données finales risquent d'être biaisées", déclare Paul Bleicher, CEO d'une start-up dans le domaine des technologies de santé basée à Cambridge, Massachussetts et qui a écrit sur le rôle des réseaux sociaux dans la médecine. Il ne pense pas que les firmes pharmaceutiques aient correctement évalué le problème. Chez Novartis, Mundel admet que tout n'a pas encore été tiré au clair. "On n'a pas encore estimé la façon dont [les réseaux sociaux] pourraient affecter la précision du signalement des effets secondaires" dit-il. "Nous allons devoir y réfléchir, car nous n'en saisissons pas encore tous les détails".


Atteindre des volontaires difficiles d'accès


En dépit de ces inconvénients, on prévoit une augmentation du recrutement des sujets d'étude clinique sur les réseaux sociaux. Inspire déclare une centaine d'inscriptions par semaine. Comme Bleicher l'écrit dans un récent article publié par Applied Clinical Research, "la technologie est un fait, et les mutations qu'elle va amener dans la communication et l'interactivité sont aujourd'hui impossibles à évaluer, tout comme les nombreuses opportunités, et les quelques risques qui y seront associés".
Comme toujours sur le web, quand tout se passe bien, le fait de relier les gens entre eux engendre des possibilités formidables. Le site de Susan Love Army of Women, par exemple, a été lancé en novembre 2008 afin de recruter des volontaires pour des études sur la prévention du cancer du sein. Grâce à la possibilité de s'organiser au niveau local qu'offre l'Internet et à un effet boule de neige, le site a pu amasser plus d'un quart de million de membres, autant de recrues potentielles pour les scientifiques pour leurs recherches sur les facteurs de risque associés au cancer du sein.


Le site n'est pas un réseau social (bien que ce soit envisagé), mais tire parti de nombreux outils innovants appartenant au Web 2.0. Les blogs, par exemple, où les chercheurs décrivent leurs recherches, et l'importance de la participation des membres d'Army of Women. Mais, quand bien même Army of Women se transformerait en réseau social, le site reste consacré à la collecte d'informations en vue de la prévention. Il ne s'agit pas de tester l'efficacité de médicaments sur telle ou telle maladie. On risque moins de voir des données affectées par des échanges entre patients.
Le plus important reste la capacité du site à atteindre des volontaires difficiles d'accès mais désireux de participer, tel que Theresa Passerelli. Cette comptable de 60 ans travaillant dans un hôpital, habite à Warm Springs, une petite ville du centre de la Georgie, sans feux de circulation ni d'épicerie. Bien qu'elle réside à 100 km du premier centre médical d'importance, elle participe à une étude importante sur le cancer du sein chez les sœurs de femmes souffrant d'un cancer du sein. "Les marches et les téléthons ne font pas avancer la science", déclare Passerelli. "Quand j'ai découvert Army of Women, j'étais plus que prête à leur donner mon corps et qu'elles en fassent ce que bon leur semble, s'il y avait la possibilité de faire une découverte, quelle qu'elle soit".


source: Nouvel Obs.com