Il y a cent ans, j’ai travaillé pendant un mois de juillet chez ma propriétaire à Paris, du côté de la rue du Chemin-Vert. Je me souviens de cette vieille femme, tout droit sortie d’un roman de Balzac. Elle gérait son parc d’immeubles, qui n’était pas maigre, d’une main de fer que ne tempérait même pas un gant de velours. Elle aimait l’argent et entendait bien le faire entrer dans les caisses. Mon travail consistait donc à taper des avis d’échéance de loyer toute la journée. Je me perdais dans les opérations et les pourcentages car il fallait calculer l’augmentation du loyer principal plus celui du dépot de garantie que nous lui devions, pratique qui a heureusement disparu aujourd’hui.
Hier, j’étais au salon du Livre. Soirée d’ouverture, bourrée à craquer évidemment. Je suis allée en priorité sur le stand de Présence Africaine, pour le plaisir. J’ai eu la chance de croiser madame Diop, cette femme formidable qui garde un oeil sur sa chère maison. Nous nous connaissons et nous avons eu plaisir à nous revoir. Arrive un vieux monsieur, très courtois. Il se joint à la discussion. Je saisis à peine son nom : monsieur Lima. Peut-être Willy Alante-Lima, auteur d’une biographie de Guy Tirolien chez Présence ? Toujours est-il qu’après avoir déchiffré mon nom sur mon badge, il me dit : “comme c’est curieux, madame, vous portez le même nom qu’un ami guadeloupéen… un homme très estimable mais je l’ai perdu de vue depuis longtemps”. Interloquée, je sentis mes souvenirs revenir, brouillés, étirés par le temps. “N’était-il pas dans le domaine juridique ?…” lui demandai-je. “Oh, il était plutôt dans l’expertise comptable, me répondit mon interlocuteur. Il était, je crois, président de l’Ordre des experts-comptable de France… quel était son prénom, déjà…” “Félix !” nous sommes-nous exclamés presque à l’unisson.
Incroyables. A des décennies d’intervalle et dans des circonstances absolument différentes, j’entendais parler de cet homme que je n’ai toujours pas vu. Il habite en Guadeloupe, m’apprit monsieur Lima. “Il est âgé, me dit-il, certainement plus de 80 ou 90 ans”.
Monsieur Félix… vous avez traversé ma vie. Etonnant, non ?