On arrondit les angles chez Citroën. Les fameux chevrons de la marque se sont fait émousser les pointes et ont pris du relief. Toucher au logo, synthèse suprême de l’identité de la marque, est toujours un exercice délicat par son importance stratégique et communicationnelle. Et puis Citroën n’est pas une marque comme les autres pour les Français. C’est un mythe imbriqué fortement dans la vie de chacun.
André Citroën, les croisières jaunes et noires, la traction avant, la Deuche, la DS, de Gaulle et l’attentat du petit Clamart, les pubs de Séguéla,… Tous nous avons un morceau de Citroën chevillé à l’âme. Comme preuve, le déluge d’opinions et d’émotions exprimés sur la toile après l’opération de chirurgie esthétique. Quel est la nature du changement que nous propose la marque ?
Les changements graphiques
1980 2009
Ce qui caractérise ce dernier changement c’est le refus de l’angle. Il est complètement annihilé. Non seulement la pointe supérieure des flèches a été arrondie, mais les pointes basses ont pris de la largeur et ne montrent plus de pointe. La cartouche carrée disparait elle aussi avec ses 4 angles droits.
Refus de l’angle que l’on retrouve dans la nouvelle typographie, qui va jusqu'à imposer la transformation du N majuscule de l’ancienne police en un n minuscule et un adoucissement de toutes les autres lettres qui restent pourtant en majuscule.
On introduit un relief bombé, on métallise les chevrons et on récupère le rouge dans le nom.
Le choix des lignes courbes, caractéristiques du monde vivant n’est pas un choix de petite portée. C’est l’abandon du monde abstrait et parfait des lignes droites et des angles, qui nécessitent des outils pour être tracés par les hommes, pour le monde de la nature. Du visuel au tactile. De l’abstraction du 2D à la matérialité du 3D. Ce sont les deux pôles extrêmes de l’expression artistique introduits par Wilhelm Worringer dans « Abstraction et Empathy » publiée pour la première fois en 1906. Les dessins géométriques faits de lignes droites et brisées, appartiennent aux formes d’art abstraites et correspondent aux civilisations les plus anciennes comme celle de l’ancienne Egypte où les hommes cherchent à transcender un réel qu’ils ont l’impression de ne pas maitriser. A l’opposé, le style organique utilisant des lignes arrondies et ondulées pour imiter une nature où règne un rapport de confiance entre l’homme et les phénomènes du monde extérieur et qui atteindra son apogée dans la civilisation grecque.
Dans notre cas, Citroën fait le choix de l’empathie. Un rapport plus immédiat avec la clientèle. Une plus grande proximité. Un plus grand humanisme de façon générale.
Ce n’est pas vraiment nouveau pour la marque. Quelques superbes spots de la décennie 80 créés par RSCG sont dans la mémoire de tous. Le plus poétique d’entre tous est celui des chevrons sauvages (84) où une horde de chevaux s’échappe d’un parking et fuit une ville grise et bétonnée pour rallier les grands espaces de la nature.
Ou celui de la BX en 82 qui se personnifie (par application de la Star Strategy de Jacques Séguéla) et, rompant les tabous, se jette dans la mer après une nuit de conduite sure et tranquille depuis Paris, sur fond sonore de Julien Clerc chantant « J’aime, j’aime, j’aime. ».
Il est aussi intéressant de retourner sur les remarques de Roland Barthes dans ses mythologies à propos de la DS. Il y parle « … d’un retour à un aérodynamisme … moins tranchant, … moins agressif… ; …d’un bombage étalé. » et surtout « …comme si l’on passait d’un ordre du moteur à un ordre de l’organisme. »
Cette symbiose avec le monde vivant qu’exprime le recours aux lignes organiques, est-il le nouveau thême de la communication Citroën ?
Le communiqué de presse
« Issu d’un travail collaboratif entre les équipes de Landor et les équipes de la direction du style chez CITROËN, le logo, est le premier signe visible du changement. Les chevrons sont désormais libérés et en trois dimensions pour évoquer la conquête, la puissance et la technologie. Le rouge, couleur historique, se retrouve sur la nouvelle typographie du nom de marque. Un rouge qui évolue, plus profond, pour figurer la qualité et imposer l’ambition de la marque. »
Si l’expression de la technologie, par la métallisation des 2 éléments qui continueront à nous rappeler les chevrons et leurs parents-engrenages est réussie, on peut être sceptique quant à l’expression de la conquête. On a bien libéré les chevrons de leur cage carrée et rouge, mais pour les faire se rassoir. Les 2 « boomerangs », comme les internautes les ont baptisés, se sont renforcés et arrondis et inspirent une grande stabilité. L’effet de puissance est donc atteint au travers de cette stabilité et masse, mais au détriment de la conquête, du mouvement, du changement qui sont aussi des caractéristiques du monde vivant.
Pas d’objectifs humanisant, mais surtout pas de mouvement. Perdue l’impression d’autorité qui indiquait péremptoirement une direction unique : vers le haut.
L’appel à l’élévation a disparu pour faire place à une solide et rassurante stabilité.
Le site internet
Il faut aller sur le site pour trouver le mouvement. Là nous sommes accueillis par ce flot de lignes serpentines fines et rouges, routes dans l’espace, qui nous amènent sur une succession de photos et de messages où apparaissent successivement les messages suivants : Citroën se réinvente, le slogan « Créative Technologie » (sic. en français), des rappels de l’innovation, de la compétition automobile, et la volonté de d’établir un nouvel esprit, de nouvelles lignes et de nouveaux rapports avec les clients. En bref une ambition de changement fort.
Malheureusement ce changement de logo reste très en retrait par rapport aux ambitions déclarées. Cette retouche organique du logo pouvait être effectivement une rupture comme celles auxquelles la marque a pu nous habituer au fil de son histoire, mais elle reste en fait une remise à niveau de certaines incohérences stylistiques et retards par rapport aux concurrents et aux tendances profondes des marchés.
Logo en relief : le logo avait déjà du volume avant 1980. Il en a aussi dans ses applications sur les voitures.
Les concurrents français ont fait cet exercice graphique il y a déjà quelques années. Renault donne du relief à son losange en 1992 et Peugeot ajoute une ombre du côté droit de son lion en 1998.
Lignes arrondies : les lignes des voitures Citroën ont toujours été généralement relativement fluides. Le volant monobranche est probablement la réalisation la plus significative du refus de l’angle. Appliquer le même traitement au logo est une manière d’augmenter les cohérences de l’esthétique des manifestations de la marque. C’est aussi une prise en compte de l’humeur esthétique des marchés.
Non seulement notre vie quotidienne s’esthétise, mais elle se « baroquise » depuis le tournant du 2ème millénaire. Les logos, les produits, les pubs, les architectures font place aux lignes courbes (pour des raisons évidentes, nous traiterons cet argument dans un autre article).
Créative technologie : on peut se demander le but véritable du positionnement de l’adjectif devant le nom, à l’anglaise ? De toute façon, le slogan est tout à fait légitime. Les innovations technologiques ont marqué la saga Citroën. Suspension hydropneumatique, direction hydraulique, freinage à disque, embrayage automatique, etc. Par contre la place est plutôt encombrée. Renault a sorti son slogan « créateurs d’automobiles » il y a déjà quelques années, Audi communique depuis toujours sur la technologie…
Nous verrons dans un prochain article comment cet exercice de remise à niveau propose en fait le thème du rapport de l’homme à la technologie. Une chose est certaine : les chevrons ne sont plus sauvages et ils ne voient plus rouge. Technologie créative oblige !
Lugano 09.03.09
© Gérald Mazzalovo