Magazine Journal intime

La complainte de l'instit' automate

Publié le 01 septembre 2007 par Mirabelle
Mon cher Victor,
J'essaie de ne pas penser à l'avenir, Victor. De passer les jours les uns après les autres. Pas envie de planifier. Je veux juster regarder droit devant, ne plus me retourner, et ne penser qu'à mon métier, le fil conducteur de mon existence, mon équilibre. Je veux juste avancer, comme un automate, sans me poser de questions, sans doutes, sans craintes, sans regrets, sans remords. Rien du tout. Je veux juste bosser tout ce week-end, préparer ma semaine et m'écrouler dans mon lit, assomée par la fatigue. Je veux juste être crevée pour ne pas pouvoir penser à autre chose. Je veux juste penser à moi. A moi. A moi et à mon métier. Oublier. Tout oublier.
J'aimerais faire table raze de ma mémoire sale. Que plus rien ne soit triste, que plus rien ne soit grave. Oublier qui j'étais, mes faiblesses, mes douleurs. En fait, j'aimerais ne pas me connaître moi-même. Et me découvrir, nouvelle personne, nouvelle façon de penser. Ne plus avoir mal. Ne plus rien ressentir que le sentiment neuf d'être quelqu'un d'autre. Non. Pas quelqu'un d'autre, car "être quelqu'un d'autre", c'est déjà comparer ce "quelqu'un d'autre" avec "celle d'avant", et ça, je ne veux pas. Je ne veux même pas de cette idée de "celle d'avant". Je veux tout recommencer. Me pardonner. Faire peau neuve. Je ne l'ai jamais autant souhaité.
J'aimerais figer le temps. J'aimerais ne pas devenir adulte. Parce que ça me terrifie. Et que je n'ai plus choix. Et que je ne m'en sens pas capable. Parce que je me sens seule et que je ne sais comment vaincre cette solitude. J'aimerais figer le temps. Me fondre en lui et ne plus exister. J'aimerais ne pas me réveiller le matin avec cette sensation d'impuissance, cet instant fugace où je me dis que je n'y peux rien. Que je ne peux rien à rien. J'aimerais faire un saut dans le temps. Six mois. Rien que pour quitter cet état désagréable de cette vie qui ne décolle pas. Ne plus avoir envie d'aboyer sur tout le monde, ni de me recroqueviller sur moi-même. Vaincre ma culpabilité. Et me laisser une chance.
Je sais ce que je vais faire aujourd'hui. Et puis demain. Et puis après-demain. Et puis le jour suivant. Ce sera toujours la même chose. Je vais bosser, bosser, bosser. Sinon, je m'écroulerai. Ca ne m'enchante pas, ce scénario qui se répète, en boucle, encore, toujours. Mais je ne peux pas faire autrement. Sinon je m'écroule.

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