On cottoie des gens
pendant plusieurs années, et des choses importantes nous échappent totalement. Parce qu'en temps normal on se regarde trop de face. Plein écran, totale lumière, mais peu de choses visibles
finalement. Suffit de changer l'angle, même en regardant par un petit trou de lorgnette, et on apprend beaucoup mieux.
Lui, m'a parlé de ses mains à cause de cette cicatrice pas banale, et puis tant qu'on en était dans les histoires de cicatrice et de surécriture...
L'histoire de cette cicatrice, c'est la maladresse de l'enfant qu'il était, revenant à l'école avec, dans un sac, un bocal en verre prêté par une professeure d'éducation manuelle et
technique, ironie des mots. Le sac est tombé, le bocal s'est cassé, dans un réflexe il a voulu ramasser le sac, un morceau coupant lui a fait une grande estafilade, ouverture longitudinale,
comme si le doigt était une trousse d'écolier, fermeture (ouverture) éclair.
De cette cicatrice nous en sommes venus à parler, naturellement, comme le veut la circulation naturelle et hors contrôle entre les mains et le visage, à celle plus douloureuse qu'il
porte là aussi lovée dans une ligne préexistante, entre la lèvre et le menton. Je ne l'avais jamais
remarquée avant qu'il me la signale.
"Ca c'est une autre histoire, plus compliquée"
Il avait dix ans. Il s'est retrouvé par hasard ce jour là dans une remise où il y avait du matériel d'haltérophilie. A dix ans on veut être fort, il a essayé les poids, 5 kg, 7 kg, encore un peu
plus, 10kg, 15 kg... Arrivé à 20 kg le petit Atlas n'a plus pu porter le ciel trop lourd qu'il s'était mis au bout des bras, il est tombé à la renverse, les poids lui ont broyé la mâchoire, les
dents, la bouche. Toute son enfance a été ponctuée ensuite d'opérations, pour guérir peu à peu de cet accident.
Et voilà comme on apprend qu'un visage familier, où absolument rien ne se lit de cette histoire, s'est longtemps vécu comme un visage défiguré. On l'apprend en regardant les
mains.