Elle est conquise par le nouveau rôle qu’elle commence à jouer, comme ça, autant par élan que par curiosité, elle qui s’est plutôt laissée chouchouter. Sa Mamouchka l’a mal habituée il faut dire. Quand elle était gamine elle filait chez-elle tous les mercredis après-midi, et c’étaient des délires de gâteaux au chocolat à n’en plus finir. C’était limite si on ne leur déroulait pas le tapis rouge à la boulangerie : la petite grand-mère chapeautée et sa petite fille montée sur ressorts, une institution, quasi. Maintenant qu’elle avait grandi, elle était irrésistiblement attirée vers les gourmands, peu importe qu’ils eussent la gourmandise plurielle. « Moi, du moment que tu m’aimes, pourquoi irais-je exiger que tu n’en aimes pas d’autres ? ». Donc, ce soir : une surprise toute mignonne, toute banale, rien d’extravagant, vraiment, mais la nouveauté de penser à quelqu’un la réjouissait. Elle fronçait les sourcils, maintenant. Car à vrai dire, elle ne savait guère comment faire ce genre de choses. Elle avait envie de fleurs, des tulipes tiens, vite fanées mais folles de couleurs ! Des trucs bons à grignoter, aussi : direction un traiteur. Du bon pain qu’on achète encore tiède, et même du vin. Elle commençait à apprécier le rouge bien charpenté qui fait tout rond dans la bouche et vous enveloppe tout le corps. Elle est chargée comme un baudet, le jour commence à décliner.
De là-haut il la voit entrer dans l’immeuble, mais il ne bouge pas. Le temps ne presse pas, l’air est doux et il hume la brise. (…)