Économie domestique
Comment dépenser 700 balles en une heure
Avec l’argent, je suis sage. Très sage. Désespérément sage. Je mériterai l’auréole et une paire d’ailes duveteuses. Mais putain ce que c’est bon de claquer de la thune parfois! Hélas, quand j’en dépense, je le fais trop vite. Une sorte d’éjaculation précoce qui s’achève sans apaiser ma famine. Enfin, je présume de ce que doit être une éjaculation précoce, quoique les femmes sommes aussi capables de ces orgasmes rapides, superficiels qui laissent insatisfaite, déçue, frustrée. Quand je dépense de l’argent j’agis comme si je me masturbais entre deux portes, pressée par une irrépressible nécessité physique et un bus à ne pas manquer sur le point d’arriver. Une branlette rapide. Une jouissance fulgurante qui m’éclate sans jamais me permettre d’atteindre le septième ciel. Pour la totale planée il me faudrait le chèque un blanc qui satisferait la foultitudes d’inutiles désirs consuméristes qui me hantent. Le genre de chose qui n’arrivera jamais, à moins qu’un -ou une- milliardaire généreux(se) décide d’assouvir mes fantasmes. Rigolez pas! Rêver c’est gratuit!
Aujourd’hui, j’ai quand même réussi à dépenser 700 francs -454€- en une heure et… bon ben, vaut mieux un orgasme minable que pas d’orgasme du tout quand on est obligatoirement vouée à la chaste ceinture de la privation pécuniaire.
Comment ai-je fait pour dépenser 700 francs en moins d’une heure? Simple. Suis allée au Centre commercial en face de chez moi, chez un opticien particulièrement avantageux -ben oui, je suis raisonnable, sniff, j’ai dû prospecter, me renseigner, comparer des prix, pfff… pas drôle- où j’avais choisi deux paires de lunettes, l’une pour voir de loin, l’autre pour travailler à l’ordi -très bons marchés, pas de grandes marques- indispensables à mes vieux yeux qui selon l’opticienne ont cinq ans de plus que mon âge réel, en me passant de la troisième paire pour voir de près. Pour l’instant je peux éviter cette onéreuse dépense. L’opticienne les a ajusté sur mon nez, les a resserré sur mes oreilles, puis j’ai payé. Ensuite suis allée acheter un joli cadeau fashinionsita pour ma filleule qui aura bientôt onze ans mais qui est déjà dingue de mode, puis suis passée à l’alimentation faire le plein des dernières drogues avec lesquelles je me dope: du chocolat noir avec 90% de cacao ou au piment chili. Ben oui! C’est pas tout de ne pas fumer, de ne pas boire d’alcool, de me passer de cannabis, de baise et d’antidépresseurs sans ingurgiter des tonnes de bouffe! Encore faut-il récompenser mes petits neurotransmetteurs pour que je n’aie pas envie de me flinguer ou du moins pour trouver assez de motivation pour me lever le matin! Donc voilà. Ma dernière trouvaille: le chocolat noir. Très noir. Pimenté, il me défonce encore plus!
Et c’est ainsi que j’ai dépensé 700 balles en moins d’une heure, alors que j’aurai facilement pû en dépenser le double… si je les avais eu. D’ailleurs, à cause de ces chères lunettes qui ne seront pas entièrement prises en charge par l’assurance, j’ignore comment je payerai ma future facture d’éléctricité qui à présent au lieu d’arriver tous les mois, ne vient que tous les trois ou six mois. Dangereux pour ma comptabilité ces nouvelles dispositions des fournisseurs d’énergie. Enfin, on verra au moment voulu. Après l’orgasme rapide, suis repartie pour une longue période sans orgasme du tout si je veux pouvoir honorer mon électricien. Vous croyez qu’il accepterai un Magritte même si c’en ai pas un?
Les objets de mon délicieux délit consumériste: au premier plan mes lunettes roses pour travailler à l’ordinateur, posées sur ces vices exquis qui éviteront à mon moral de plonger dans les abysses. Les lunettes “papillon” sont destinées à me permettre enfin d’admirer un paysage autrement qu’en clignant des yeux. Au fond le cadeau pour ma filleule, un vêtement à la mode dans un joli emballage.