D’une nuit sans rêve

Publié le 17 mars 2009 par Unepageparjour

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D’une nuit sans rêve, épaisse, qui me laisse dans la bouche un mauvais goût de cendre, je me réveille seule, en dehors de Rio, les yeux grands ouverts, qui me regarde étonné. La caverne semble vide, inquiétante de silence. Je ramasse un bout de tige à sucer, sucrée, un peu amère, de celles qui, parait-il, rendent les cheveux drus, et la peau douce. Je me dirige jusqu’à l’entrée, lumineuse comme au plein cœur de l’été. Un lièvre détale devant moi. La clairière aussi, est désertée.

Les hommes ont du partir bien avant les premières lueurs de l’aube, pour surprendre la tribu du fleuve dans son sommeil. Mais où sont les femmes ? Les enfants ?  Devant l’étrangeté de la situation, je ne sais que faire. Je ranime le feu, qui s’apprêtait à mourir. Mais ensuite ? Je laisse mes yeux doucement cligner dans la chaleur du soleil, tout est si tranquille, soudain. Je repense aux troupeaux des bêtes sauvages.

Je retourne près de mon mur. Mes mains me démangent, il prend à mes doigts une folle envie d’effleurer la paroi rude, à mes paumes de caresser la roche brute et d’y déposer mes pigments de couleurs.

Hack a sans doute demandé aux femmes de les rejoindre, pour récolter ce qu’il y avait d’utile chez les hommes du fleuve, certain de la victoire. Ils m’ont laissé là, me croyant morte, peut-être ?  Hé bien, profitons-en, maintenant ! Laissons aller mon inspiration suivre son cours ! Venez à moi, taureaux, bisons, aurochs, veaux, vaches, zébus, lions, loups ! Entrez dans mon bestiaire ! Courrez ! Teintez-vous de lumière ! Sortez de l’ombre !

Magie ! Tout est magie !

Un sang bouillant m’emporte, la fièvre de la création, je n’entends plus rien d’autre que ma propre imagination frapper comme une folle sur la haute paroi de pierre. Je deviens sourde, même aux cris de Rio, qui s’affame. Je peins. D’autres animaux jaillissent, pour s’assembler aux troupeaux déjà présents. Ils dansent, la lumière pâle de la grotte joue entre leurs formes étranges, issues de mon regard. Mes souvenirs de l’avant-veille restent dans ma tête, et ce sont d’autres ombres qui se précipitent entre mes doigts, des silhouettes inconnues, des profils enchantés, des hardes entières sorties du néant qui traversent soudain mon esprit, et aussitôt, je les vois, couvertes d’ocre, de carmin, de brun-rouge, de terre de sienne, je les vois, devenues réelles, posées, là, devant moi, recouvrant de leur présence le fond de la caverne. Je crie, je rie, je pleure aussi, des larmes de folie, qui résonnent à l’infini. Je deviens l’instrument, la main qui peint, je ne contrôle plus rien, je me sens entraînée, par un fleuve, une vague terrible et vivifiante.

Rio est debout. Il marche, soudain. Je devrais m’exclamer, l’encourager, porter devant moi mes mains pour l’accueillir, mais non, mes mains polissent, grattent, roulent, mélangent, unissent, modifient, rectifient, mes mains ne m’appartiennent plus.

Alors je lui parle. Tu vois, Rio, regarde, regarde ce mâle a si fier allure, son regard semble transpercer le rocher, il est plus vivant qu’aucun autre, il est le maître, ici, le chef de la meute. Et vois cet autre troupeau, tout petit, car il est loin, caché par les frondaisons, qu’on devine là, par cette ombre de cendre disséminée ici, et là, et là, on les voit souffler, ces bêtes, d’avoir échapper à l’attaque des lionnes, là, fatiguées d’avoir couru, et pour rien, encore.

Epuisée, je m’affale, au pied de l’œuvre. La main de Klo scintille encore. Alors, à l’aide d’un morceau de bois brûlé, je dessine avec précaution le contour de ma main, posée bien à plat, les doigts écartés. Comme pour indiquer que tout ceci vient de moi, de mes tripes, de mon ventre défoncé par la douleur, de mon cœur bouillant, de mon sang enfiévré.

Enfin, je m’allonge, pour donner le sein à Rio. Il a si faim !

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