Vladimir décacheta l’enveloppe et lu les quelques mots qui avaient été griffonnés rapidement sur un vieux papier imprimé. « Désolé ! Je ne sais pas si je peux vous faire confiance ! SK».
« дерьмо ! раса ее бабушки*» marmonna Vladimir en regardant aux alentours ».
Il froissa nerveusement l’enveloppe et la jeta dans le caniveau de la rue Daguerre.
« Bon venez maintenant vous deux ! on a assez cherché Steve partout, et visiblement, on ne le retrouvera pas » lança t-il à Paul et Suellen Keller qui le suivaient. « Et il est presque l’heure ! »
Portant toujours le sac qu’il était allé chercher chez Steve, Paul peinait à suivre le rythme de Vladimir. Sally quant à elle, marchait dans les pas du russe qui les conduisit vers l’église d’Alésia. Il tourna sans hésiter dans l’impasse du Rouet et s’arrêta brusquement devant le n°7. Une plaque en laiton indiquait « CHEVAL & Associés, Notaires & Avocats ». « On va attendre 5 minutes, on est en avance ! » dit Vladimir en sortant trois cigares. « Oh, Thank you, I like that » répondit Sue avec un accent britannique surjoué et en sortant son Zippo. Paul refusa froidement le cigare. Il sortit sa flasque de gin qu’il ne quittait jamais et en descendit une bonne rasade.
Il s’apprêtait à sortir de son mutisme afin de demander un peu plus d’explications à Vladimir, quand deux silhouettes descendirent d’une décapotable qui venait de se garer au coin de la rue. L’une d’elle semblait avoir du mal à marcher et était soutenue par la plus grande. « Ca y est, Sergueï arrive » dit Vladimir. Levant sa montre au niveau de sa bouche, il prononça dans le petit émetteur « C’est bon Sergueï, on passe en mode visuel ». Il se tourna vers Paul : « Je crois que tu le connais non ? »
Paul ne pu répondre! Ce n’était pas Sergueï, le beau russe auprès duquel il avait passé la nuit qui l’interloquait mais plutôt la frêle jeune femme qui l’accompagnait : Sally, la sœur de Steve, la fille de Vladimir et de Suellen. Sally, la morte de ce matin. Il se retourna vers Sue et dit simplement. « C’est elle ! »
Sue comprit tout de suite qui arrivait et se mit à courir en direction de la jeune femme, qui paraissait elle aussi très émue. Leurs retrouvailles furent très intenses. Elles furent aussi très brèves : Vladimir ordonna de sa voix rauque «On y va ! » Sergueï, après un petit clin d’œil à Paul poussa les deux femmes vers le porche et composa le digicode. Tout le monde pénétra dans le bâtiment.
La pièce était spacieuse et l’éclairage intense contrastait avec l’obscurité de l’étroit couloir qu’ils venaient de quitter. Au fond, sur une petite estrade, onze hommes en costards noirs identiques et un mec en marcel et en short, leur faisaient face, derrière une très longue table de style Louis XV. Douze paires de lunettes noires s’étaient tournées vers l’entrée et des murmures s’échangèrent.
« Vous êtes à l’heure, M. Dzhamolidine » dit un des hommes en costume à Vladimir, « Prenez places ». Il montra 5 sièges vides, en contrebas de l’estrade. « Pas vous » ordonna-t-il à Paul qui faisait mine de s’assoir. « Posez seulement le sac sur la table ! »
Paul obtempéra sans broncher et s’en alla tout penaud dans un coin de la pièce où Sergueï s’était déjà réfugié.
Vladimir, plaça avec assurance Suellen sur la chaise du milieu et Sally sur celle de gauche. Il s’assit entre les deux femmes. L’homme continua en se tournant vers Suellen. « Je suis M. Bernard Cheval, notaire. Nous attendons M. Keller pour démarrer la lecture du testament.»
Quelques instants plus tard, on frappait à la porte et John Keller entrait dans la pièce avec un homme que Paul reconnu être Moustache, le sale flic dont Steve avait parlé au Sambabar. « Le camp des méchants, ça c’est sur » pensa t-il.
« Bonjour M. Keller » salua M. Cheval, le seul des douze hommes qui semblait savoir parler. « Installez-vous ! ». John se plaça alors à droite de sa femme Suellen et dit en souriant « Notre fils Steve n’est pas encore là, mais il ne devrait pas tarder. »
Moustache se dirigea vers le coin où étaient collés l’un contre l’autre Paul et Sergueï. Le premier lui décocha alors un uppercut bien placé qui l’envoya au tapis. « De la part de Steve ». Moustache grogna quelque chose d’inaudible en se relevant et en préparant son gros point mais John lui dit. « Ca suffit lourdaud ! Va te cacher de l’autre côté et qu’on ne t’entende pas ». Le calme revint et seul le petit sourire amusé de M. Cheval montrait qu’il venait de se passer un sacré petit tabassage dans les règles de l’art.
Le notaire sortit alors de sa mallette un grand classeur et déclara très solennellement :
- « Nous pouvons démarrer la lecture du testament. Tout d’abord, Mme Keller, sachez qu’une analyse ADN a déjà prouvé que Mlle Sally Viora était la fille de Vladimir Dzhamolidine ici présent. Acceptez-vous de faire ultérieurement une analyse permettant d’établir qu’elle est votre fille naturelle ?
- « Non, volontiers… je veux dire oui bien sur… » balbutia Suellen.
M. Cheval continua : « M. et Mme Keller, en attendant son arrivée, vous représenterez les intérêts de votre fils adoptif Steve Keller. Mlle Sally Viora, vous pouvez vous représenter vous-même, bien que vos deux parents soient présents. »
Paris, 26 mai, rue Daguerre, 20H42
Steve courrait à perdre souffle afin de se soustraire à la vue de ce Vladimir. Il avait un peu honte d’avoir abandonné sa mère dans les mains de cet inconnu, mais il ne pourrait que mieux l’aider si lui-même n’avait pas les mains liées. Mais que faire ? Il ne devait pas s’éloigner d’Alésia, ça il en était sur. Il pourrait ainsi jeter un coup d’œil sur Vladimir ou Moustache, surveiller sa mère et son ami (?) Paul. Et surtout, c’est là qu’il avait vu la fille de ce matin, sa soeur.
Il continua à déambuler dans les rues en évitant avec soin d’entrer dans le champ de vision de Moustache, de Vladimir et de Paul, tout en cherchant à faire un signe à sa mère. Mais le grand russe gesticulait dans tous les sens et le cherchait sans fatigue. Leur petit jeu dura une bonne vingtaine de minutes.
La tension redescendait et Steve faillit bien se laisser surprendre alors que Vladimir venait de faire demi-tour après un angle de rue et avançait dans sa direction. Steve essaya d’ouvrir les portières des voitures. La troisième, une Peugeot 403 noire était ouverte ; il s’y engouffra. Affalé sur le siège il regarda passer Vladimir, toujours suivi de Paul et de sa mère.
Ayant regardé trop de films, il fouilla dans le vide poche, s’attendant à trouver un flingue. C’était un sacré fouillis : il y avait des papiers de bonbecs, des mouchoirs sales, des tickets de caisse, un marqueur noir, une vielle contravention et le courrier de la journée… mais pas d’arme.
Steve continua son inspection de la voiture. Les clefs étaient sur le contact. « Bizarre quand même ! ». Il se retourna et…
Il sursauta sur son siège. Un jeune garçon bouclé le regardait apeuré, assis sur la banquette arrière. Merde, ça expliquait pourquoi la voiture était ouverte, les parents n’étaient surement pas loin. « T’inquiète pas, je ne veux pas te faire de mal. Je ne peux pas sortir pour l’instant mais… tu vas m’aider… et je te laisserai partir »
Steve pris alors la contravention et écrivit rapidement quelques mots dessus. Il la mit dans une enveloppe du courrier du vide poche et la ferma comme il pu.
« Bon tu vas filler cette enveloppe au monsieur en bleu là-bas » dit il en montrant Vladimir qui s’était arrêté une centaine de mètre plus loin « Ensuite tu rejoins tes parents. Quand tu reviendras, je ne serai plus là. »
Le garçon qui n’avait toujours rien dit prit l’enveloppe sortit de la voiture et s’éloigna.
Deux minutes plus tard, Steve mit le véhicule en marche avec une petite pensée pour le jeune garçon et suivit à distance les trois personnages qui bougeaient vers Alesia. Il se gara à l’entrée de l’impasse du Rouet, alors que ceux-ci fumaient le cigare devant une porte cochère. Il connaissait l’endroit pour y avoir passé une soirée chez le pote d’un colloque d’une amie. « C’est l’avantage d’avoir fait des fête un peu partout dans Paris ! » pensa t-il. Evidemment, il observait les cigares avec envie et se dit que quand cette histoire serait finie, il irait s’en fumer avec un pote qui les avait gratos par son patron.
Steve manqua de s’étouffer quand il vit la morte de ce matin, sa sœur donc, arriver avec un homme. Il fut témoin des rapides retrouvailles de la mère et de la fille avant que l’homme ne les pousse très rapidement à l’intérieur de l’immeuble.
Steve hésitait. « Se rejeter dans la gueule du loup ? Se barrer ? ». Il décida de patienter 5 minutes. L’Eglise d’Alésia sonna rappelant à Steve que c’était l’heure du Rendez-vous soit disant donné par son père.
John justement descendit avec Moustache d’une voiture qui repartait en trombe. Ils s’engouffrèrent rapidement dans l’immeuble.
« Merde, c’est quoi ce bordel. Tout le monde est là. Bon, j’y vais !» se dit Steve. « Il faut que je sache ! »
Devant la porte cochère, il fut surpris de se rappeler du code d’entrée alors qu’il n’était venu qu’une fois il y a plusieurs années. « C’est vrai que j’étais bien bourré, ça entretient la mémoire » se dit-il en entrant dans un couloir sombre et très étroit qui s’avançait profondément dans le bâtiment.
Derrière une porte, une voix forte s’élevait. Il alla coller son oreille à la serrure. La voix reprit : « Conformément à la volonté de Nicolaï Sarkösky que nous représentons, son testament doit être lu 50 années après la naissance de sa fille ainée Selena Sarkösky, épouse Keller, en présence et de celle-ci, de son petit frère et de leur descendance. Toutefois, vue l’urgence de la situation, nous n’attendrons pas les personnes absentes ».
« C’est aujourd’hui les 50 ans de maman » se rappela Steve. « Et elle s’appelait Sarkösky, donc son petit frère c’est… »
Au fond du couloir le bruit de la porte l’interrompit dans ses pensées. Un vieil homme boitant, portant un chapeau mou passa le seuil. Steve reconnu la personne qui l’accompagnait. Celui qu’il aimait tant, qu’il avait essayé d’oublier, et qu’il a revu sur la photo de ce matin. Cet homme que lui, Steve Keller, pas spécialement pacifiste mais pas non plus adepte de la violence avait un jour tabassé et laissé pour mort sans qu’il ne s’en rappelle la raison, à cause de ces foutues pertes de mémoires. Steve ressentit à la fois de la honte, du plaisir et de la peur à l’idée de revoir Igor Ilitch Sarkösky. Le père qu’il avait fini par retrouver pour un court instant alors qu’il recherchait ses parents, puis qu’il avait décidé d’oublier.
*Merde ! La race de sa grand-mère