« A s’en faire péter l’rectum »
C’est la première phrase qui lui était venu quand il descendit le talus vers le corps. Il le connaissait bien. Qui ne le connaissait pas ici ? Tout le monde dans la maison avait un jour ou l’autre eu affaire au gros Xavier. La terre meuble glissait dangereusement sous ses pieds et il devait jouer des bras tel un équilibriste pour ne pas risquer de finir la descente sur l’arrière-train. Il y avait là Etienne et Mohammed, poireautant autour du corps. Un peu plus loin scrutant les abords du fleuve, les épaules voutaient par des années de manque de sommeil, il y avait Fergera et son éternel pardessus beige. A croire qu’il avait dévoré Columbo dans sa jeunesse. L’endroit était très calme. Il arriva en bas du talus. Il vérifia que le sol était bien stable car il ne voulait pas tomber dans le fleuve. La proximité de l’eau le rendait toujours nerveux. Allez savoir pourquoi, il y a des gens comme ça qui n’aiment pas l’eau, qui même en ont une peur dingue sans même savoir pourquoi.
Il jeta un coup d’œil vers le corps à demi immergé puis vers le sommet du talus. Nous étions bien loin des clichés de la télévision. Il n’y avait pas le moindre journaliste ou bedeau, si tôt sur les berges de la Saône. Seul un bleu qui se les gelait en prenant vite fait une première disposition du joggeur qui avait aperçu le corps. Il savait déjà que cela ne servirait à rien. L’homme n’était pas courageux au point d’être descendu voir le cadavre. Il avait simplement sortit son téléphone et les avait appelé. Après, il repartirait simplement finir son jogging en promettant de passer signer sa déposition au commissariat. Le visage du gros Xavier était encore plus gonflé que de son vivant. Sa peau semblait enduite d’huile et se fendait en plusieurs endroits. Sa langue, noire, se dressait entre ses lèvres comme un monument obscène qui aurait voulu jouer la carte de la comédie sans y parvenir et surtout en obtenant l’effet inverse. Combien de fois je l’avais moi-même ramené en cellule de dégrisement au cours des dernières années. C’était un habitué de nos bars, un homme que la vie avait détruit et qui se consolait comme il pouvait. Oh bien sûr, par devant le gros Xavier était un jovial, un bon vivant. Il faisait rire les gens en début de soirée, il leur faisait un peu plus pitié à la fermeture. C’était pas un mauvais bougre le Xavier, juste un de ceux qui ne trouve jamais leur place dans ce monde. Et pourtant, il l’aimait bien le vieux Xavier lui. Une fois, il l’avait même soutenu durant un de ses rares moments où Xavier se laissait à s’apitoyer sur son sort. Il voulait faire de la biologie qu’il lui avait dit une fois d’un petite voix, presque celle d’un enfant, bien différente de celle qu’il prenait pour raconter ses blagues ou pour lancer son tonitruant « A s’en faire péter l’rectum » qu’il plaçait dans presque toutes les soirées. Il avait finit sur les routes. Représentant qu’il était. Et puis un jour, il avait gouté à la facilité de femmes rencontrées au hasard des rues, y avait pris goût. Sa femme un jour l’avait su, Dieu seul sait comment, et elle était partie sans laissé d’adresse avec ses enfants. Le gros Xavier avait trouvé sa maison vide. Ça l’avait détruit. Et de fil en aiguille, il se retrouvait aujourd’hui le cul dans la vase à contempler le ciel gris avec ses orbites vides. Les poissons avaient déjà pas mal avancé le boulot.
Fergera s’approcha de lui. Son visage toujours fatigué restant insondable à toutes évaluations, ses pensées restaient les siennes.
- Alors inspecteur, déclara-t-il suffisamment fort pour faire comprendre au deux autres qu’ils ne valaient pas la peine qu’il leur parla directement, vous avait eu vent d’une petite fête dans le secteur ? Qu’est-ce qui vous amène à l’heure du déjeuner ici, dans la boue ? A moins que vous ayez des informations que je n’ai pas, le gros Xavier ne fera pas la une des journaux. Je ne crois pas que ce soit une affaire bien passionnante.
- Non, en effet. Je suis passé parce que Patricia au bureau me l’a dit quand je suis arrivé. J’aimais bien Xavier alors je suis passé pour voir de quoi il retournait. Apparemment, ce n’est en effet pas bien passionnant. Une énième cuite qui lui aura couté un bain fatal cette fois-ci…
- Hum, grogna Fergera, ouais… Vous n’aimez pas bien l’eau en plus de ce que je sais, hein ? Lâcha-t-il sans attendre de réponse. Les sacs en plastiques seront là dans dix minutes. J’espère qu’ils ne vont plus trainer. Il fait froid au bord de ce fleuve.
- L’hiver arrive…
- Ouais… Je vous laisse patauger ici si ça vous chante, moi je vais aller attendre en haut, mais vous ne devriez pas rester ici. Du travail doit vous attendre au bureau.
Et sans lui laisser le temps de répondre, Fergera fit demi-tour et commença l’ascension. Le jeune inspecteur se retourna vers Etienne et Mohammed en leur jetant un regard indiquant tout le mépris qu’il avait pour Fergera. Il n’avait jamais vraiment essayé de se faire des amis depuis qu’il était arrivé dans cette ville, mais Fergera avait l’air de ne pas l’aimer du tout. Et ça, ça avait le don de l’énerver, surtout de bon matin.
Il jeta un dernier coup d’œil au corps et pris la décision qu’il n’avait plus rien à faire ici.
— Eleken,
Et bout après bout, l’histoire commence :p