par l’anachroniqueuse
En voila une bonne vieille rentrée véritable, estampillée « comme autrefois » quand les saisons étaient ce qu’elles étaient et le monde était monde ! La bruine parisienne de ce lundi matin donne à la ville un teint de papier mâché. J’entends d’ici les brèves d’ascenseur tandis que je m’élève vers le cinquième étage de mes occupations quotidiennes : « hé bin, si ça commence comme ça, qu’est-ce que ça sera en novembre…. » ou encore « avec l’été qu’on a eu …. », jusqu’à l’optimiste « C’est bon pour les nappes… », phréatiques, évidemment, parce que pour la restauration… : « Les touristes, vous savez, ont préféré le soleil… », « D’ailleurs, ma belle sœur, qui est dans l’hôtellerie… ».
Cette année, c’est bien. C’est raccord. On ne nous contraint pas à fermer la porte du bureau ou de la classe au nez d’un soleil radieux et d’un été indien. Il pleut, tout simplement. On est dans l’air du temps. Ça sent le cahier Clairefontaine, la trousse vinyle, la Nike chinoise fraîchement démoulée. Les ados font correctement la gueule sous leurs coupes de « veuch’ » Klaxons (NDA : jeune groupe de rock anglais de garçons) et les franges Plasticines (NDA : jeune groupe de pop rock français de filles). Les profs ont « la haine » de retrouver ces charmantes têtes blondes qui ont faim d’apprendre, tellement faim, tellement soif, qu’ils ont l’oeil cannibale, là au fond de la classe…
Il flotte sur la ville un je-ne-sais-quoi d’impatient, une petite fièvre. Le mercato des Baby- Sitter et des nounous bat son plein. Les couples mamans-bébés encore en fusion estivale vivent une difficile « semaine d’adaptation » à la crèche. On les croise sur les trottoirs, les yeux rougis, dans les bras l’un de l’autre. Les étudiants qui passent septembre, enfin « rangés des terrasses », vivent leur rattrapage sous le zinc des toits, l’œil tout à leurs « poly ». Les salariés ont décacheté l’enveloppe des impôts pour connaître l’«ardoise» de rentrée.
Dans le métro, les dames de l’«information » (NDA : no more billets aux guichets des petites stations dotées de distributeurs, on délivre désormais des « informations à l’usager »… ) arborent un bronzage timide, acquis de haute lutte dans l’été frissonnant du Cotentin. Ceux dont le hâle trahit un séjour méditerranéen sont toisés d’un air dogue, à l’exception solidaire, bien sûr, de ceux qui reviennent de Grèce: « vous avez vu les incendies en Grèce ! Ohlala. Mon petit cousin qui était une semaine à Mykonos avec un ami, m’a dit que… ». Hellènes mis à part, le hâle sent le sarkozysme pur yacht & company, l’arrogance, le fric, pas le travail des champs, ni même le Summer of Love. Les rumeurs de grève vont bon train, comme il est d’usage en septembre : « mon beau-frère dont le meilleur ami est marié à une permanente de la CGT du Ministère de la culture, qui vient de rentrer de Grèce, a entendu que le mouvement va … ». Certains trouvent donc qu’il est de meilleure politique de se faire porter pâle.
Les restos rouvrent des salles ripolinées, les boulangeries montrent un comptoir neuf par çi, une nouvelle vitrine réfrigérante par là. La société Decaux a mis l’été à profit pour inaugurer ses panneaux néo-moches portant la « nef » de la Ville de Paris, qui comme le cours de la bourse : fluctuat nec Mergitur. Le magazine ELLE a sorti son « Quoi de neuf ?», plus publi-fellationnel que vrai travail d’investigation. La plage a coulé. Même le Vélib’ est rangé des cadres, vaincu par la météo.
La vie reprend son cours.
Lana