Le chien

Publié le 22 mars 2009 par Eleken

La route défilait toujours lentement après une soirée un peu arrosée. Chaque virage doit être négocié avec précision afin que l’inconnue liée à l’alcool dans mon sang ne m’envoie pas dans le fossé. Le ciel noir ne laissait filtrer aucune lumière réconfortante et seul la lumière du seul phare de ma voiture qui fonctionnait encore chassé un peu l’obscurité. Enfin j’attaquais le dernier virage de la nationale qui m’amènerait au chemin qui m’amènerait chez moi. La radio passait “Final countdown” du groupe Europe. Cela me faisait toujours penser à un clic d’Evangelion que j’avais vu des années plus tôt lors de “coloc’ de jeunes informaticiens” autrefois appelé LAN. J’avais vraiment passé une bonne soirée. Malgré les poivrots et autres habitués du bar, moi j’avais passé la soirée sur le flipper avec un copain à essayer de battre notre record. Je dois reconnaître que nous étions particulièrement mauvais. Quand j’y réfléchis, il en faut peu pour passer une bonne soirée. Et pourtant, elle était courte puisque je rentrais déjà. À peine minuit et déjà je rêvais d’arriver dans mon lit. Je vieillis sans doute.

C’est alors que dans le virage, je vis cette masse noire apparaître dans la lumière de mon phare. Est-ce l’alcool, la fatigue ou la vitesse ? Je ne pus empêcher la voiture de la percuter de plein fouet. Les roues quittèrent le sol en roulant dessus et s’arrêta brutalement quelque mètre plus loin. Mon dernier phare avait rendu l’âme dans l’accident. Et tout à coup ma vieille 205 me parut une bien frêle barrière contre l’obscurité qui m’entourait. Ma respiration était forte, mais je me raisonnais. Je venais d’avoir un accident. J’analysais la situation, n’arrivant pas à lâcher le volant. Mes poings crispaient dessus, la jointure de mes articulations blanchies, je passais en revue ce qui venait d’arriver.

J’avais renversé quelque chose. Quelqu’un ? Je passais les images dans ma tête. Une masse sombre, recroquevillée sur le sol. Une masse énorme… Trop petite pour une vache, trop basse pour un homme, trop sombre pour un landau. Je soufflais, je n’avais pas renversé quelqu’un, j’en étais presque sûr. Alors quoi ? Un chien ? Mais bien sûr… Un chien au milieu de la route, ce n’était pas la première fois que j’en croisais un à ces heures tardives. Ce n’était pas non plus la première fois que je manquais d’en écraser un. Je soufflais, soulagé, ce n’était qu’un chien… Un gros chien… Un très gros chien… Était-ce ma mémoire qui me jouait des tours ? Plus j’y pensais, plus il me semblait que ce chien dépassait mon capot quand je l’avais heurté. Existe-t-il des chiens aussi gros ? Il n’était pas dressé, ça j’en suis persuadé… Plutôt… Accroupis…

Je me retournais, lâchant finalement le volant devenu moite à force de le serrer. Pourquoi est-ce que je n’osais pas respirer ? Aucun son ne me parvenait… Ma voiture était silencieuse depuis qu’elle avait calé et pas un hibou ne donnait de la voix. Rien au loin… Pas un aboiement… Pas même, et s’aurait été mieux, le son d’un moteur s’approchant. Je scrutais la route à travers le pare-brise arrière. Petit à petit, mes yeux s’habituèrent et je distinguais des variantes de gris. Ce gris plus clair, ce devait être l’asphalte… Je ne voyais pas de masse sombre. Était-il possible que l’animal ait survécu à l’impact et se soit enfui ? Pourtant ma voiture lui était passé dessus. Une seule possibilité restait. Il était trop proche de ma voiture que je puisse le voir… Pourtant j’avais bien l’impression d’avoir fait vingt ou trente mètres après l’avoir percuté.

J’y répugnais avec une force qui me surprenait moi-même, mais il n’était pas question que je mette un pied dehors pour aller vérifier. Je dois avouer que j’avais terriblement peur et que je refusais obstinément de me l’admettre. Cette peur n’avait pas lieu d’être. Il faisait juste sombre. Pas de Lune, pas d’étoiles, le ciel était couvert. Mais c’est comme si ma peur prenait naissance aux origines du temps, en une époque si reculée qu’elle s’était inscrite dans nos veines. Je décidais donc néanmoins de vérifier où se trouver la bête. J’ouvrais doucement la vitre côté conducteur. Lentement aurait été plus vrai. J’aurais aimé un son qui me soulagea de tout ce silence qui m’oppressait et transformait ma peur en panique. Mais rien d’autre que le silence. Pas un brin de vent… Je sursautais quand la tôle froissée se détendit et craqua comme un éclair dans le néant. J’avais beau tendre l’oreille, il n’y avait pas un son. Rien qui me rappela le monde sans l’obscurité.

Un gémissement s’éleva de l’arrière de ma voiture. La bête était toujours vivante. Je passais la tête à l’extérieur afin de mieux la voir. Je ne distinguais qu’une masse sombre juste derrière ma roue arrière que j’assimilais à un pelage dru et noir. La masse bougea. Plutôt elle tressaillit, comme si la bête essayait de bouger… Non, corrigeais-je pour moi, comme si elle venait de se réveiller en sursautant. Tout ça était ridicule. Pourquoi est-ce que j’avais peur d’un chien blessé qui probablement était entrain de mourir sous mon pare-choc… Un grondement profond et puissant s’éleva et fit trembler mes côtes de peur. Un peu d’urine s’échappa de mon sexe et mouilla mon caleçon. Comment un chien aurait-il pu produire un son pareil ? Parce que ce n’est pas un chien hurla en moi cette conscience presque animale qui tentait de me mettre en garde depuis que je l’avais heurté… Et soudain, je n’avais plus peur, je n’avais plus de frayeur, je n’étais plus paniqué… Non, ce que je ressentais allé bien au-delà de tout ce que j’avais ressentis jusqu’alors… La conscience aigue d’être face à un mal absolu, une bête venu des abîmes de la peur, caché sous le folklore… Mon Dieu, mais pourquoi est-ce que je pensais à ça… Je refermais aussi vite que possible la frêle vitre de la portière. À cette seconde, j’ai su que cela ne me protégerait de rien ni de quoi que ce fut qui bougeait derrière la voiture. Je l’entendais qui remuait et faisait tanguer en même temps ma voiture. Je tournais la clef de contact. C’était là ma seule chance non ? À l’instant où je la tournais, un rock country rugi dans l’habitacle. À cet instant le démarreur couina dans le moteur. À cet instant, l’arrière de la voiture bondit en l’air et retomba lourdement sur son essieu. À cet instant je sus que tout était perdu. La voiture ne démarra pas, elle ne démarrerait jamais. Je moteur était foutu. Je pris conscience de l’odeur d’huile qui se répandait sur la chaussée. Je pris également conscience de cette odeur plus forte qui maintenant emplissait l’habitacle… Une odeur de pourriture… De sang… De bête…

Je tournais lentement les yeux vers la vitre à quelques centimètres de mon visage… Des crocs luisaient dans la nuit… Un sang charbonneux s’en écoulait… La bête émettait un son rauque à chaque respiration… Elle me fixait de ses immenses yeux noirs sans expression… Une patte appuyée sur le toit de la voiture, elle se tenait dressée sur ses pattes arrière… Dans une posture trop humaine pour un animal… Je savais ce que c’était… Je le savais mais je ne pouvais l’accepter… Elle frappa la vitre de ses griffes qui céda immédiatement… D’un bon je reculais sur le siège passager. La gueule ensanglantée de la bête traversa les bris de verre et tenta de me saisir la cheville encore présente sous le volant. Mais c’est comme si ses jambes avaient cédé car la gueule recula et elle gémit un peu avant de revenir à la charge en hurlant de rage. Le rock hurlait toujours… Il ne s’était pas écoulé dix secondes et pourtant toute ma vie avait disparu devant ces crocs. Ce monstre au poil dru et saleaux crocs fait pour déchirer la chair, cette bête de mort qui maintenant progressait par à-coups dans afin de rentrer dans l’habitacle… J’étais terrorisé, terrifié, incapable de réagir. Je la voyais progresser vers moi au ralenti, saisissant chaque spasme qui l’agitait, chaque muscles qui la poussaient de l’avant. Mon esprit était noyé de ses rugissements, de la musique, de mes hurlements de terreurs. Sa tête était déjà presque au niveau de mon ventre, elle progressait plus vite maintenant qu’elle s’aidait de ses mains armées de griffes immenses. Elle était presque complètement à l’intérieur quand la portière derrière moi céda.

Je tombais à la renverse sur le goudron. Le choc me réveilla. J’avais dû pousser de toutes mes forces sur la portière pour qu’elle s’ouvre comme ça. La bête hurla en me voyant lui échapper à la seconde où elle allait plonger sa gueule dans mes entrailles. Je tentais de me relever tout en courant, ce qui fait que j’ai couru à quatre pattes sur plusieurs mètres avant enfin de me redresser. Il faisait un froid terrible pris-je conscience. Je m’engageais sur la petite route qui menait chez mes parents à moins de trois cents mètres. Je courrais mais chaque pas raisonnait dans mes genoux. Je n’osais regarder en arrière mais je ne pouvais ne pas entendre… Ne pas entendre la tôle qui cède, ne pas entendre les rugissements qui me remontaient dans l’échine, ne pas entendre les pas de la bête qui boitait dans ma direction… Des pas malades, des pas brisés… Des pas qui se rapprochaient de plus en plus… Je n’étais pas un sportif… J’avais fait à peine la moitié du chemin. Mes poumons me brûlaient affreusement et les larmes qui coulaient sur mon visage et ma morve m’empêchaient de respirer correctement. La bête se rapprochait…

C’est un cauchemar ! Cela ne peut-être que cela… ça n’arrive pas… Ces choses n’arrivent pas en réalité… Mais je ne pensais pas du tout à ça… ces choses arrivent dans la réalité… Cette chose est entrain de m’arriver ! Je vois à travers mes larmes que la lumière de la cuisine est allumé. Ça veut dire que ma mère est encore levé. Je hurle en espérant que quelqu’un vienne à mon aide. Je suis si proche de chez moi.

Il est trop tard… Les griffes de la bête lacèrent mon dos… Je tombe, le souffle coupé sur le sol… Je n’arrive même plus à bouger… Non pas que je n’ai plus la force de le faire… Mais parce que je sais que c’est inutile… Comme mes cris qui se noient dans ma gorge quand ses crocs la déchirent… Inutile… Des moments… Ma vie… La nuit… Le jour… Inutile… Futile… Ici, sur un chemin, dans une ville… Sur ce chemin où j’ai joué enfant. La bête… Elle n’existe pas… Pourtant elle m’a tué… Ce soir… Cette nuit… Ma mort… Dire ce que je ressens pendant qu’elle me dévore… Rien… Ma mort est comme ma vie… Inutile… Juste avant que mon esprit sombre à tout jamais… Alors que je suis déjà mort et que rien ne peut plus me ramener… J’entends des pas se précipiter dans la nuit… Mon Dieu… Je crois que je ne suis que l’entrée.


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— Eleken,
Petit exercice pour un dimanche, Je sais que c’est bête
mais croiser un Loup-Garou la nuit est un de mes cauchemar les plus récurrent :p