Pour lire le début de "Pierres et Natasha"
L’animation du centre ville d'Etretat bourdonne à ces oreilles. Coincé dans la foule, il perd Natasha de vue. Il l’a vu tourner, au détour d’une ruelle. Vide ! Des badauds, imposants et lourds, chargés de souvenirs et de glaces à la vanille, le regardent, étonnés. Pierre arpente les rues bondées, traverse les terrasses de café, se fraie un passage entre les tourniquets de cartes postales et les grosses dames, heurte encore quelques pères de famille, de plein fouet. Un vendeur de kebab, haranguant la foule, lui propose un sandwich avec le sourire, qu’il refuse d’un geste las.
Un vieux cheval, harnaché à une charrette à touristes d’un autre âge, renâcle son ennui, les yeux cachés par deux carrés de feutre noir. Le soleil fait des flaques, sur le sol, devant lui, qu’il essaye d’attraper d’un coup de sabot. Pierre s’arrête, à sa hauteur, car il constate qu’un morceau de tulle blanc s’échappe du sac. Il s’agenouille, tire sur la fermeture éclair qui refuse de s’ouvrir davantage, s’énerve.
« Hé, mon gars, faut pas rester là, près de mon cheval. Après, on va se plaindre d’avoir pris un coup dans la tête. Sérieux, mon gars, faut pas rester là ! ».
Pierre soupire, une nouvelle fois. Il traverse la placette, s’assoit sur un banc, et se décide à replier complètement la robe de mariée de Natasha. A l’aide d’un trombone, d’un peu de sueur et de quelques minutes de patience, enfin, le sac s’ouvre. Il en sort la soie blanche en boule, et l’étale sur le banc, bien à plat, lissant avec ses paumes le tissu éclaboussé de soleil. Il cligne des yeux. Des enfants s’approchent, curieux, sans rien dire. Il plie, les manches, le col, le bas de la robe. Il hésite, avec les frous-frous.
Un rire clair le tire de sa concentration. Natasha, les mirettes illuminés de lumière et d’amour, le regarde, d’un air mutin et enjoué, tandis que sa langue, dans un joyeux va-et-vient, s’amuse sur une grande glace italienne d’un rose fluorescent.
« - J’ai gagné ! ».
Pierre hausse les épaules. Mais il n’est pas si mécontent ! Et d’un, il a pu ranger cette robe comme il faut, et de deux, il a retrouvé sa femme.
« - Viens, je vais te montrer ce que j’ai gagné ! Si tu veux, on pourra partager.
- Partager quoi ?
- Viens, tu vas voir ! ».
Elle le tire par la main, et l’entraîne dans l’une des rues adjacentes, sautillant comme une mésange dans la douce lumière de ce début d’après-midi de juin, printanier et heureux.