Ce soir, je suis allée voir le ballet Roméo et Juliette au Grand Théâtre...
Oui, bon, d'accord, ce n'est pas vraiment de théâtre dont je vais vous parler ce soir mais ça se passait au Grand Théâtre, donc, je ne suis pas vraiment hors sujet (oui, je sais, c'est capillotracté !)...
Oh, et puis, ça fait très longtemps que je ne me suis pas fait une soirée avec Belle-Blonde et Madame Mère...
Donc, comme vous vous en doutez, entre mes deux lectrices de Télérama (vous avais-je dit que la soirée était soutenue par Télérama ? Ooooh, en voilà une surprise qu'elle n'est pas surprenante !!!), la soirée ne pouvait être que hautement culturelle (un de ces quatre, je vais choper le vertige à force de faire dans le hautement culturel... Faudrait voir à avoir pitié de mon inculture, les filles !).
Donc, vous prenez l'histoire de Roméo et Juliette par William Shakespeare,
Vous saupoudrez d'une volée de notes de musique de Serguei Prokofiev,
Vous assaisonnez d'une chorégraphie de Charles Jude (d'après Madame Mère, un ballet chorégraphié par Charles Jude, il faut en voir un au moins une fois parce que ça vaut le détour !)
Et ça vous donne le spectacle de ce soir...
Bon, ça, c'est la version brute informative...
La version publicitaire du Grand Théâtre donne plutôt ça : "Du sublime et tragique destin des amants de Vérone immortalisés par Shakespeare, le chorégraphe — guidé par l’extraordinaire partition de Prokofiev — crée un ballet intense et poétique, où la passion amoureuse exacerbée par le langage du corps lutte en vain contre la violence qui déchire les familles de Roméo et Juliette. À n’en pas douter, un des «incontournables » de la saison !"
Ah ben alors...
Je m'incline...
Alors, d'abord, Prokofiev et son "Roméo et Juliette", vous connaissez obligatoirement...
Mais si ! Faites pas vos mauvaises têtes !!!
Vous vous souvenez de la pub pour le parfum "Egoïste" de Chanel ?
Eh bien, donc, vous connaissez au moins un air de ce ballet !
Et c'est celui là :
Bon, alors, autant vous dire que j'ai passé une grande soirée donc je vais être un peu dithyrambique...
Je commence par quoi ?
Les costumes ? Les décors ? Les danseurs ? L'orchestre ? La chorégraphie ?
Allez, soyons folle et attaquons par l'orchestre... J'étais au deuxième balcon, 1er rang donc avec une vue imprenable sur l'orchestre... Il était excellent ! Dynamique, ferme mais pas Wagnérien !
Ben oui, je sens que vous allez dire que je chipote mais suivant la façon de jouer de l'orchestre et de mener du chef, ça passe plus ou moins bien... Karajan était moins extraordinaire sur la "Petite Musique de Nuit" que sur la "Chevauchée des Walkiries", c'est comme ça !
Certaines partitions nécessitent des attaques franches et brutales, d'autres nécessitent des transitions en douceur...
Bref, là, l'orchestre et son chef (qui, soit dit en passant, avait sorti la queue de pie et les souliers vernis, contrairement à certains qui dirigent en bras de chemise en acétate...) étaient top !
Les décors, tout en sobriété, contemporains sans être avant-gardistes. Les petits détails qui font mouche et, hop, on se retrouve à Vérone au XVIè siècle...
En regardant bien, il n'y en avait pas tant que ça, en plus, mais le metteur en scène a réussi, en changeant, une ou deux dispositions, en reculant un panneau, en en avançant un, en rajoutant une étoffe, en retirant un baldaquin (qui a remarqué que le lit et le catafalque sont le même meuble auquel on a enlevé le ciel de lit moins deux montants, en l'inclinant légèrement et en posant dessus un tissu différent ?) à nous donner l'impression qu'on passait de la rue à une salle de bal dans un palais, à une chambre de jeune fille, à une église, à un tombeau...
C'est quand même très fort !
Les costumes étaient très travaillés pour des costumes de ballet. En fait, ils tenaient plus du costume de théâtre que de celui de danseur et, là, je tire mon chapeau au corps de ballet et aux étoiles parce qu'il ne doit pas être évident de danser avec autant d'aisance, de donner cette impression de grâce et de légèreté alors qu'on est engoncé dans un costume (je sais bien que les costumes avaient dû être étudiés pour mais l'impression était vraiment forte... Pas de tutu plateau en tulle à l'horizon !)
Et, du coup, j'en viens aux danseurs... Un corps de ballet très technique, très harmonieux. Un Mercutio (Roman Mikhalev est d'une technique, d'une grâce qui m'ont laissées pantoise !) phénoménal... Un Tybalt (Alvaro R.Pinera est d'une puissance dramatique à vous couper le souffle !) avec la tête de l'emploi et un solo dont je vais vous reparler plus loin, une Juliette "brindille"(Yumi Aizawa), limite pré-pubère, mais tellement gracile et expressive...
Et tout cela mené par une chorégraphie surprenante car jonglant en permanence entre le classique académique et le contemporain... Une espèce d'hybride qu'en tant que néophyte, je nommerai "néo-classique"(ça existe ?)...
Je ne pourrai pas vous dire si le fait de savoir qu'il a été révélé par Noureev a influencé mon opinion mais j'ai retrouvé une certaine patte du maître dans sa chorégraphie. Ca ne ressemble en rien au Roméo et Juliette de Rudolph (oui, je me permets de l'appeler par son prénom, on était potes !!! Mais noooooonnoooooon, c'est juste pour éviter la répétition... Pffff !) et, pourtant, une certaine gestuelle, une certaine façon de se tenir, certains enchaînements de pas... Un p'tit truc quoi !).
Je pense sincèrement que Charles Jude n'est pas Rudolph Noureev et que sa chorégraphie ne restera peut-être pas au Panthéon de la danse, pour les connaisseurs avertis (mais, je m'en fiche, moi, je ne suis pas connaisseuse et j'aime !) mais elle était très agréable, très expressive (non, parce que je vois certaines puristes commencer à s'agacer là !)...
Je dirais (attention, ça va hurler dans les rangs ! Ne me frappez pas !) que la chorégraphie de Noureev (celle-ci est les autres que je connais un peu) on un côté un peu "Bolchoï" (hyper technique, carré mais gracieux) alors que celle de Charles Jude a un aspect plus "Français", au sens doux, arrondi, félin...
Le côté irrévérencieux et badin de Mercutio dans la scène du bal, son agonie si poignante, ses sauts et sa gestuelle si maîtrisés.
La nourrice si "comedia del'arte" (un peu de légèreté dans ce drame) qui apporte la petite note "humaine" et maternelle (la mère de Juliette étant dans le rôle de la "mater dolorosa" à la dignité et à l'élégance imposantes).
La violence et la colère mal contenues de Tybalt à chacune de ses apparitions, appuyées en plus par son physique méditerranéen au regard très sombre et hypnotique.
Le pas de deux entre Juliette et son père (superbe Ludovic Dussarps !) quand celle-ci refuse d'épouser Pâris. Ce numéro de "je t'aime et pourtant je te renie... On ressent toute ce combat intérieur dans la puissance et la grâce des pas et de l'interprétation, entre l'amour d'un père pour sa fille et son sens de l'honneur familial, sa haine des Montaigu. Yumi (Oui, elle aussi, on est potes... De toutes façons, je suis pote avec tout le monde aujourd'hui !) y était sublime de fragilité et Ludovic (et oui, lui aussi, c'est mon pote... Qu'est-ce-que j'ai comme nouveaux amis, moi ! C'est cool le Grand Théâtre !) y était impressionnant d'émotion, de force et de désarrois (ce qui est d'autant plus marquant qu'on imagine plutôt le père Capulet en patriarche et que le danseur est plutôt jeune et fin).
Le pas de deux final entre Juliette et Roméo, quand il la prend sur le catafalque et la porte sur son dos, les bras en croix, comme on expie une faute mais sans cette espèce de pathos dramatique gestuel. Tout est en retenue et, pourtant, si intense...
Je vais vous dire : on a beau connaître le dénouement, on peut ne pas être très sensible à la danse mais, là, on ne pouvait pas faire autrement que d'être touché par tant de violence, d'amour, d'humour, de légèreté, de désespoir...
Ce soir, au Grand Théâtre de Bordeaux, c'était le rendez-vous de la grâce, de l'émotion, de l'art et de la littérature !
(jusqu'au 6 avril au Grand Théâtre de Bordeaux)
A bientôt !
La Papote
PS : Vous croyez que si je me cache derrière un fauteuil, je pourrais le revoir tous les soirs jusqu'à la dernière ?