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Le philosophe à lunette (fin)

Publié le 03 avril 2009 par Isabelle Debruys
Il en avait lu, des philosophes, des tas de philosophes et leur philosophie, il avait avalé des wagons de pensées effilées, puissantes au point de lui donner le vertige. Seulement lui, il ne savait pas écrire ce qu’il avait dans la tête. Il n’avait qu’un moyen de donner corps à la vérité, jusqu’à ce qu’enfin, on comprenne. Il leur faudrait du temps, mais il n’était pas pressé. Il y en aurait donc d’autres, voilà tout. Il avait quelque chose à dire et il entendait bien qu’on l’écoute. Elle, il l’avait choisie à cause de sa mine tout à fait ravissante et son allure de petit cheval. Et plus il l’avait apprise, plus il était convaincu que le hasard avait, une fois encore, fait les choses de manière magistrale.
Pendant ce temps elle poussait la porte de chez-elle et filait dans la cuisine où elle lâchait toutes ses emplettes en vrac sur la table, réalisant que c’était dommage pour les fleurs : elle n’avait pas de vase. Elle jette un œil à son portable, se dit qu’elle a tout le temps de prendre une douche, de mettre tous les trucs très bons au four – car cette fois, elle a fait les choses bien et snobe le micro-ondes – ou plutôt l’inverse : le four d’abord, les verres sur la table avec la bouteille à déboucher tout de suite – elle sait que ça s’aère, un bon vin, et le sien, d’après le vendeur de Nicolas, il est plus que bon –, puis une douche. Prise d’une pensée coquine, elle se dit : « sous-vêtements, ou pas sous-vêtements ? », puis elle enchaîne, toute frétillante : « et je mets quoi, pour qu’il réalise que je n’en porte pas ? ». Elle songe. Puis son visage s’illumine : elle va mettre l’ensemble que…
Elle s’effondre d’un seul coup. Ce qui est très bizarre, c’est qu’on ne voit rien pendant quelques secondes. Ce n’est pas dans une artère, qu’il a tiré, c’est dans la tête, sur le côté, dans les cheveux pas dans la tempe, par pudeur. Ca l’ennuie beaucoup moins de faire saigner les hommes, un vieux compte à régler avec son père sans doute, ou son grand-père, ou tous les hommes de sa famille, va savoir. Les femmes, c’est plus fort que lui, il les épargne.
Quand même : justement le soir où elle semblait préparer quelque chose de spécial. Ce n’était pas prodigieux, ça ? Le hasard dans toute sa gloire, il en était tout épaté. Qui ira prétendre, après ça, que les choses ont du sens ?
Et le gars quand il va rentrer ? Il lui restera toujours le vin et l’odeur de brûlé des trucs qui auront cramé dans le four.

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