Pour lire le début de "Pierres et Natasha"
Natasha s’assit sur le lit, le dos appuyé contre les pierres, laissant à ses larmes amères le droit de couler sur ses joues. Fatiguée. Elle essayait de se rappeler de la veille, du dernier soir, de la télé éteinte, de son monologue, quand Pierre s’était déjà couché, en catimini, des pages feuilletées au hasard, des minutes de la nuit qui s’égrenaient, de l’ennui, du somnifère posé sur la table, de l’attente.
Natasha rembobinait les vieux films des années, des plages abandonnées, des mers palotes, des longs ciels gris. De l’ennui en pente douce, agglutiné au fil des jours, comme ces mousses soufflés dans le désert, qui grossissent au gré des vents contraires.
L’arrête des pierres, malgré l’épaisseur du peignoir, donnait dans son dos des petits coups de canif, pointus, serrés, qui lui faisait mal, à la longue, et la ramenait dans cette réalité étrange, surgit de nulle part. Elle soupirait, mais la continuité du temps lui demandait de se relever, de se doucher, de s’habiller, de prendre un petit déjeuner dans le jardin fleuri, de cueillir quelques poignées de cerises, de chauffer les casseroles pour les confitures, de tourner lentement avec la grande cuillère de bois dans la pulpe chaude des fruits chantant.
Le mur devenait mirage, idée, concept, affadi par tous ces moments ténus d’occupation. Trier les fruits mûrs, les fruits pourris, les fruits véreux, les fruits à demi dévorés par les merles, les fruits trop verts, les fruits trop fermes, les fruits trop mous. Ecumer. Ecumer encore. Ecumer encore et encore, retirer des paquets et des paquets de mousse. Pour ne conserver que le nectar du fruit. L’essence goûteuse et odorante. Et verser avec soin dans les bocaux stérilisés. Paraffiner. Couvrir. Etiqueter. Ranger. Se baisser. Se relever. Ouvrir. Refermer. Mille mouvements, accompagnés de mille bruits.
Elle songea un instant poser les pots de confiture sur le mur. Quelle idée ! Elle se demandait finalement si ce mur étrange, entré dans sa vie par effraction, n’était pas déjà là depuis le début, invisible, impalpable, broyé par l’ombre, mais dont la structure s’était ancré depuis longtemps dans son paysage quotidien.
Le soir tombait, avec la langueur des tout débuts d’étés, irisant le ciel d’un rose nacré, comme des éclaboussures de coquillage jetées au hasard. Le soir, puis la nuit. Une nuit que Natasha devait apprivoiser, une nuit nouvelle, une nuit couleur de pierres.
FIN DE L'HISTOIRE