Mon cher Victor,
Bon. Depuis quelques semaines, je suis très très négative. Nos conversations sont noires, plaintives. Certes, certes... Mais enfin avec tes conditions de nomination,
ce permis que tu ne parviens pas à décrocher, Lilibelle qu'il te faut apprivoiser, il est normal que tu ne sois pas d'humeur à te concentrer sur les petits oiseaux qui chantent et le ciel
bleu... A propos d'oiseaux qui chantent et de ciel bleu, justement, il m'est arrivé quelque chose de tout à fait étonnant mercredi après-midi. Raconte, raconte !
J'étais partie chercher mes lunettes (des lunettes que je n'ai pas, finalement, à cause d'une bourde mon ophtalmo'). Tu n'étais pas à l'école avec les GS
?! Il n'y a pas d'école le mercredi dans la plupart des écoles, Victor. Du coup, dès mardi soir, je suis rentrée chez mes parents. Tiens, tu ne dis
plus "chez toi" ? Si. Cependant, je sens que, dans mon esprit, je passe à autre chose. L'idée de m'envoler bientôt fait que, désormais, je ne me sens plus tout à fait "chez moi"
chez mes parents. Tu comprends ? Oui, je vois ce que tu veux dire... Eh bien qu'as-tu à me regarder comme ça ? Rien...
J'ai juste l'impression d'assister à ta naissance... Pfff... N'importe quoi ! A ta métamorphose, si tu préfères ! Ne joue pas sur les mots
! Bref. Là n'est pas le propos.
Mercredi après-midi, donc, c'était direction l'opticien pour me chercher une nouvelle paire de lunettes. J'étais ravie : les lunettes, c'est super important pour une maîtresse ! Et ça a un sacré
pouvoir de séduction ! Hein ?! Mais ouiiiiii ! Souviens-toi donc de ce charmant
compliment ! Hihihi... Comment ai-je pu oublier une perle pareille ? Bref. J'étais dans la grande rue. Il y avait le bruit des voitures, les
passants, le vent. J'avais sur les oreilles la bande originale de "Cinéma Paradiso", composée par Ennio Morricone. Je me suis prise à sourire. J'étais bien. Je me voyais dans mes cartons, dans
quelques semaines. Crevée. Epuisée. Mais en train de réaliser ce dont j'ai toujours rêvé. En remontant cette grande rue, je n'ai plus eu peur de rien, tout à coup.
J'ai su que j'allais franchir tous les obstacles, les uns après les autres. J'ai su que Lilibelle et moi allions devenir de très grandes amies. Qu'un jour, j'aurai entre les
mains le précieux petit papier rose. Que Nougatine serait mon grand amour félin. Que j'allais devenir ce qu'on appelle "adulte"... Faire ma vie, tout simplement.
C'est quand même fou que cet élan d'optimiste t'ait submergée comme ça, d'un coup... Finalement, ce n'était peut être pas sorti de nulle part. A vrai
dire, une heure avant, je chevauchais Lilibelle. Mais ça c'est une autre histoire, dont je te ferai part lors d'une autre discussion ! Et puis le midi, j'ai mangé dehors avec ma famille, sous le
pommier et le soleil. Et puis j'ai eu une amie au téléphone. Et puis j'ai hâte d'être à demain pour retourner à l'école. Ah oui, effectivement... Ce n'est sans doute
pas si subi... En tous cas, tu as bien fait de venir me raconter tout ça ! D'abord parce que j'aime te voir heureuse, Mirabelle, et puis aussi parce que tu me communiques ta joie de vivre ! Et
surtout... Surtout, il faut aussi dire quand ça va bien ! Quand la vie est belle, il faut savoir le dire, tout simplement ! Alors je te le dis, Victor : mercredi, j'ai
trouvé que la vie était belle, mais alors vraiment très très belle...