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Les dessous de la politique (gballand)

Publié le 05 avril 2009 par Mbbs

– Voilà ce que je leur ai dit dans mon discours politique Élisabeth : « La société a changé, il faut savoir que dorénavant, seul le marché nous guide. », c’était même l’axe principal, dit-il à sa femme, installée confortablement dans un fauteuil Louis XV près de la cheminée.
– Et ça a marché ?
– Bien sûr Élisabeth que ça a marché. Ils croient tout. Il suffit de leur parler des contraintes du marché. Le mot marché allié au mot contraintes provoque des miracles, mieux que Lourdes, ces deux mots expliquent tout.
– Sans rien expliquer... ajoute-t-elle.
– Bien sûr sans rien expliquer. D’ailleurs il n’y a rien à expliquer. Nous vivons dans une société de marché où règne la loi du marché et nous devons tout faire pour favoriser le marché. C’est simple. Pas d’espoir sans le marché, on me l’a assez répété à Sciences Po.
– C’est simple le marché, lui répond-elle, souriant vaguement. Tiens, approche-toi chéri, parle-moi du marché et des pauvres qui n’ont pas accès au marché en me déshabillant devant la cheminée, lui dit-elle d’une traite.
– Tu veux que je te parle d’économie de marché en te déshabillant ? Hésite-t-il dans son costume trois pièces qu’aucun transport en commun n’a fripé.
– Oui chéri, s’il te plaît, fais-moi plaisir, le marché ça m’excite, c’est tellement dynamique, mouvant, hystérique ; la Bourse, les actions, les OPA, les profits, les mouvements de capitaux, et puis les pauvres, ça excite ma compassion, les pauvres, lui dit-elle en se levant et en s’approchant de lui.
Il remarque, en propriétaire satisfait, que le tailleur ajusté qu’elle porte lui moule parfaitement le corps. Maintenant il est debout devant la cheminée, dubitatif, ne sachant que faire de l’invitation de son épouse. Il a énormément de travail, le dossier des retraites, l’impôt sur la fortune, le statut des heures supplémentaires dans les conventions collectives. Il n’a certainement pas le temps de la prendre – pourquoi est-il si vulgaire ? - avec tout ce que cela suppose de préliminaires et de post-liminaires. Il se dit qu’il pourrait peut-être joindre l’utile à l’agréable, rentabilité oblige. Elle commence à lui caresser les cheveux.
– Allez Flavien, s’il te plaît. Je sais qu’il n’y a pas de temps à perdre. Le temps c’est de l’argent et la politique c’est gérer l’argent de l’économie. Je sais tout ça mon Flavien, tu me l’as assez répété. Mais le nerf de la guerre c’est l’homme et si l’homme ne satisfait pas ses besoins primaires, le système économique s’enraye, tu le sais ça !
– Élisabeth, ma chérie, je te propose un marché : on s’occupe du nerf de la guerre et en même temps, je te parle de mon dossier retraites que je dois présenter dès demain en conseil des ministres.
Elle fait une mine boudeuse mais comme il lui a déjà dégrafé son soutien-gorge, ce n’est que pure forme, elle peut difficilement espérer jouer d’égal à égal, et surtout … il y a tellement longtemps que ça n’est pas arrivé !
– D’accord Flavien, tes désirs sont les miens, mais surtout Flavien, prends ton temps. Ce dossier des retraites doit être bien préparé sinon c’est ta retraite à toi, qu’on va t’annoncer au plus vite. Et puis c’est important les retraites, il faut y mettre du savoir-faire, de la passion même.
– Ne t’inquiète pas Élisabeth, dit-il en enlevant sa veste, son gilet et son pantalon et en les repliant sur le fauteuil Louis XV. Alors tu veux le dossier des retraites sur le tapis devant la cheminée ?
– Oui, devant la cheminée. Ça ne nous est jamais arrivé n’est-ce pas ? Tu ne trouves pas ça excitant de parler des quarante deux annuités et de l’indexation des retraites, nus devant la cheminée ?
– Merveilleusement excitant, dit-il en l’allongeant maladroitement sur le tapis persan ramené d’une mission en Irak destinée à encourager Saddam Hussein à plus de transparence dans ses relations avec l’Occident. S’il n’avait pas vu Saddam Hussein, il avait au moins rapporté ce tapis !
Tout en caressant machinalement le corps de sa femme, il lui parle de la faillite du système de retraite par répartitions et de la nécessité d’une mixité des cotisations. Plus ses arguments se précisent et structurent son discours, plus ses doigts se font adroits et précis, comme si le corps de sa femme était devenu l’enjeu du chantier politico-économique français.
– Les retraites sont terriblement excitantes Flavien, dit-elle haletante, et les annuités, parle-moi des annuités. Il faut les faire durer non, je suis sûre qu’il faut les faire durer le plus longtemps possible...
– Oui, il faut que ça dure, il faut que ça dure longtemps, lui dit-il d’une voix rauque en réfrénant son élan afin d’éviter justement que tout ne s’achève et ne fasse capoter un système précaire.
–  Et pour les faire durer, reprend-elle le corps arque bouté, qu’est-ce qu’il faut Flavien ?
– Il faut du courage, Nom de Dieu ! S’exclame-t-il, galvanisé par son marathon politique et son repas pantagruélique du midi  - terrine de saumon, coquelet au vin, pommes sur lit d’airelles, fromages, gratin de fruit à la fine champagne, le tout arrosé d’un Cahors millésimé - mais épuisé par son léger basculement sur le côté droit.
Il essaie de reprendre une posture plus confortable qui lui évite les courbatures et continue son va et vient économico-sensuel
– Il faut exploiter toutes les possibilités du système. Ne rien laisser au hasard. Notre tissu économique et social nécessite savoir-faire et doigté.
– AH !
Légèrement perturbé par le cri de sa femme, il se remet néanmoins à l’ouvrage en bon énarque formaté par de longues années de synthèses et de rapports.
– Et ces quarante et une annuités du privé, nous les transformerons même en 45 annuités et pourquoi pas en quarante sept et calculées sur les trente meilleures années, et nous alignerons le public sur le privé, et nous cesserons d’accorder aux femmes un an de cotisation par enfant, et nous exigerons une cotisation pour une retraite complémentaire de la part de tous les salariés du privé et du public, s’exalte-t-il dans une pose conquérante.
– Flavien, Flavien, Flavien ! Continue s’il te plaît, continue.
– Et nous améliorerons les avantages fiscaux pour les retraites complémentaires. et nous diviserons le public et le privé pour assurer notre marge de manœuvre dans l’optique d’un épanouissent des marchés financiers et…
– Oh Flavien, Flavien c’est merveilleux, attend encore un moment, je t’en supplie !
– Élisabeth, j’arrive à la fin de mon exposé, je ne peux pas m’arrêter comme ça ou tu vas me retirer tous mes effets. Sache que ma position n’est pas des plus aisées et avec la journée que j’ai eue… réussit-il à grimacer.
– J’ai une idée Flavien, et si tu suggérais le suicide obligatoire à partir de 70 ans pour une certaine catégorie de salariés, les pauvres par exemple, et les classes très moyennes, articule-t-elle d’une moue sensuelle. Oh Flavien, Flavien, dis-moi oui, je t’en prie, dis moi oui !
A ces mots, Flavien décolle son corps moite de celui d’Élisabeth et pousse un rugissement.
– Oui Élisabeth, mais bien sûr, c’est ce qu’il manquait à l’équilibre du système, la loi de l’euthanasie préventive, c’est plus consensuel que le suicide obligatoire. C’est oui Élisabeth, oui, oui, OUI, OUI …
Son éructation guerrière s’accompagne de la jouissance valeureuse d’Élisabeth et leurs corps épuisés par les contraintes du marché roulent sur le côté. 


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