Le « pessimisme exultatoire » de Marcel Moreau

Publié le 05 avril 2009 par Fuligineuse

Un jour, qui était peut-être une nuit, il n’y a pas si longtemps, j’ai acheté pour trois francs six sous un livre d’un auteur que je ne connaissais nullement, du nom de Marcel Moreau. La première phrase lue au hasard des pages m’avait immédiatement accrochée comme une truite pêchée avec une mouche chamarrée de multiples couleurs. L’objet s’appelait Neung conscience fiction (L’éther vague, 1990) et, à le lire, je me suis sentie entraînée par un torrent impétueux qui me roulait dans ses flots et me faisait descendre des rapides sans kayak. Une expérience unique.

Aussi quand à l'occasion de la publication de son dernier livre, Des Hallalis dans les Alleluias (chez Denoël), la BPI de Beaubourg a programmé – c’était le 30 mars dernier – une rencontre avec Marcel Moreau, je m’y suis précipitée. Un personnage étonnant que Marcel Moreau, avec sa barbe de bourlingueur et ses sourcils en broussaille.

Quelques éléments bio (-graphiques et non –logiques) :

Marcel Moreau est né en 1933 à Boussu, dans le Borinage, cette région charbonnière de la Belgique. Contraint d'interrompre tôt ses études, il travaille d’abord comme ouvrier dans une robinetterie jusqu'en 1953. Après une pénible expérience d'aide-comptable - exorcisée dans son premier livre Quintes, paru en 1963 -, il devient correcteur au journal Le Soir. Avec Quintes, roman défendu par Raymond Queneau et publié en extraits par Jean Paulhan dans la Nouvelle Revue Française et par Simone de Beauvoir dans Les Temps modernes, Moreau connaît un foudroyant baptême littéraire. En 1968, il quitte la Belgique pour se fixer à Paris. Il travaille comme correcteur dans divers journaux avant d'entrer en 1972 au Figaro. Il effectue de nombreux voyages en Asie, en Amérique latine, en Turquie, etc... Lors d'un voyage en Grèce, en 1971, il se trouve à bord du navire Heleanna qui fait naufrage. (Moreau a évoqué cette expérience et cette confrontation avec la mort au cours de la rencontre).

Pour aborder l’univers de Marcel Moreau, nous avons eu la chance d’entendre d’abord une lecture d’extraits de plusieurs de ses livres par le comédien Denis Lavant, qui s’est immergé dans ce flux bouillonnant de mots, en un moment prodigieux de force et de finesse, de sensibilité et d’élan. On n’aurait pas pu faire mieux pour approcher cette écriture convulsive, ce rapport charnel à la langue, cette plongée à corps perdu dans « les entrailles du langage ».

Des bribes de phrases que j’ai notées au vol :

« sentir la vie jusqu’à des limites encore innommées »

« l’œil funeste »

« j’écris en terrain miné. Le sens trop fort de certains mots peut en faire sauter d’autres ».

« pour adorer son excès, et l’agonie de son excès, et son excès d’agonie »

« j’ai été possédé tout de suite par l’amour des mots et la nécessité d’en faire des livres ».

« laisser à l’insensé la chance d’avoir du sens »

« quand on manipule une matière aussi dangereuse que la puissance du langage, il faut de la rigueur »

Autre éclairage sur l’œuvre de Marcel Moreau, au cours de cette rencontre, celui du peintre Pierre Alechinsky qui s'est inspiré des brouillons de l'auteur et du village de son enfance pour réaliser des lithographies et des toiles grand format. (Il est également l’auteur de la couverture du nouveau livre, Des hallalis…)

*   *   *

Donc : lisez Marcel Moreau, mais seulement si vous avez l’estomac solide ; car ce n’est pas de la piquette, c’est un alcool fort qui monte vite à la tête. Mais quelle belle ivresse il donne… Car il sait, comme le dit André Velter, « embrasser l’univers tout au fond de soi, s’octroyer les mots d’une création liée à l’inouï, prendre la lumière à bras-le-corps et ne pas renoncer aux effets, aux exigences, aux commotions d’une terrible joie. »

Fuligineuse

Sources : wikipedia

service du livre belge

Un site consacré à Marcel Moreau et publiant des extraits de ses œuvres :

Une interview de 2002

Source images : couverture livre = Amazon

portrait = marathon des mots