Que tu sois l'heureux parent d'une encombrante progéniture ou pas, tu n'es pas sans savoir, ami lecteur, qu'il est certains principes éducatifs auxquels nul ne déroge (à moins d'avoir lu l'intégrale d'Edwige Antier, mais là, on frôle la pathologie).
Ainsi, le fameux "laisse-le se faire mal, ça lui servira de leçon".
Phrase entendue moult fois, affectueusement prononcée par une grand-mère ayant survécu au bombardement du Havre en 1944, ou durement tombée de la bouche d'un vague cousin célibataire et sans enfants (parfois aussi hurlée par une mère au bord de la crise de nerfs qui nourrit le secret espoir de voir son charmant bambin se prendre 100 000 volts après avoir mis les doigts dans la prise).
"Laisse-le se faire mal, ça lui servira de leçon", donc, quand le petit galopin persiste à vouloir escalader le vieux prunier du jardin malgré les mises en garde répétées, ou qu'il refuse d'abandonner l'idée de faire un câlin au feu de cheminée dans le salon.
Eh bien sache, cher lecteur, que cet adage vieux comme le monde peut s'appliquer à n'importe quel homo sapiens moyen, et pas seulement à ses rejetons braillards.
J'en veux pour preuve la dernière élection présidentielle, qui illustre à merveille mon propos (oui, je me jette des fleurs, en vertu de cette maxime qui veut qu'on ne soit jamais si bien servi que par soi-même...ça te défrise?).
Les z'humains, après tout, sont de grands enfants, qui n'aiment rien tant que de laisser la plus grande partie de leur salaire dans les poches de l'Etat grâce au formidable bookmaker qu'est la Française des Jeux ("Encore, du Loto! Encore, du Rapido! Je veux me faire plumer, vous comprenez? J'exige qu'on me plume, bordel !").
Ils se gavent d'émissions aussi avilissantes que dégradantes ("Encore, du cul! Encore, des gros seins! Encore, du mélo et du voyeurisme abject! Prenez-moi pour un con, ça me rend tellement heureux!") entre deux pages de publicité longues comme un jour sans pain ("Encore, Nestlé! Encore, Samsung! Encore, prenez-moi pour une vache à lait, nom de Dieu, puisque je vous dis que j'aime ça! ").
Parfois au contraire, ils sont persuadés d'avoir enfin grandi, sous prétexte qu'ils achètent du quinoa estampillé "Max Havelaar" chez les Nouveaux Robinson, qu'ils considèrent Entre les murs ou Welcome comme les pamphlets les plus militants et les moins politiquement corrects depuis la naissance des frères Lumière, et qu'ils descendent régulièrement dans la rue pour défendre les sans-papiers (qui sont des gens formidables, surtout quand ils habitent à une distance suffisamment raisonnable des magasins bio et des locaux associatifs de la gauche caviar).
En conséquence de quoi, il était évident que l'élection présidentielle de 2007 aurait fortement valeur d'expérience éducative à grande échelle.
On leur avait dit que le candidat Sarkozy ne citait Blum et Jaurès que pour mieux préparer le fameux bouclier fiscal (bouclier qui, une fois profondément enfoncé dans le derrière du smicard, métamorphose la "réforme" en supplice moyenâgeux digne de Vlad l'Empaleur).
On leur avait aussi dit qu'en matière de réforme bancaire, il ne fallait pas oublier que l'ancien avocat d'affaires Sarkozy connaissait sur le bout des doigts la liste des paradis fiscaux, vers lesquels il avait d'ailleurs réussi à exfiltrer la fortune de la plupart des people de l'Hexagone.
On les avait mis en garde contre le côté mégalomane et franchement pathologique du bonhomme, contre son inculture crasse et sa vulgarité, qui ferait passer son ami Jean-Marie Bigard pour un Prix Nobel de littérature.
On les avait prévenus des risques que couraient les libertés individuelles et le pluralisme s'il venait à décrocher la timbale, on avait évoqué la possibilité de voir la France se transformer en une sorte de hochet coloré destiné à amuser un éternel adolescent frustré, complexé et hargneux, sans autre projet politique que celui de complaire à quelques amis possesseurs de yachts de luxe, tout en agrémentant au passage sa collection de Rolex de quelques exemplaires supplémentaires, et incapable de réformer autrement qu'à grands coups de tronçonneuse dans n'importe quelle direction (en bon adepte psychotique et cocaïné du légendaire Leatheface).
Si, cher lecteur, si.
Dans le rôle de la grand-mère pleine de sagesse, relis donc quelques vieux numéros de Marianne, par exemple, et tu verras que la mise en garde était on ne peut plus claire, écrite noir sur blanc et en français dans le texte.
En dépit de ces avertissements répétés, comme tu le sais, monsieur Sarkozy a été élu Président de la République.
D'aucun m'objecteront qu'entre Charybde et Scylla, ils auraient bien voulu m'y voir, tiens, et que déposer un bulletin pour le Baudet du Poitou, après sa sortie sur la bravitude et à la simple lecture de son programme politique, aurait été à peu près aussi douloureux qu'un lavement effectué à l'acide sulfurique par un émule de Torquemada.
Certes, je ne peux que leur concéder ce point (j'ai moi-même conservé un cuisant souvenir de ce jour fatidique, et mon propre fondement me brûle encore passablement, heureusement que j'avais anticipé en raflant l'intégralité des stocks de vaseline de mon pharmacien).
Mais deux ans plus tard, et malgré son grand courage de Président du pouvoir d'achat qui va "chercher la croissance avec les dents" (j'espère qu'il connaît un bon prothésiste, vu la profondeur à laquelle il va devoir creuser), malgré son héroïque sauvetage de l'usine Mittal de Gandrange, en dépit de nombreuses réformes extrêmement populaires et reconnues d'utilité publique par tous les acteurs de la vie civile, il faut bien se rendre à l'évidence.
Les Français se sont pris l'équivalent de la fameuse décharge de 100 000 volts après avoir stupidement léché la prise murale.
Il ne reste plus qu'à espérer que la grand-mère du Havre, le cousin célibataire, la mère hystérique et Françoise Dolto aient vu juste, et que cette amusante petite leçon de vie portera ses fruits.
Permets-moi cependant d'en douter, cher lecteur, et de laisser la conclusion de ce billet hautement pédagogique à un autre, qui a résumé, bien mieux que je ne saurais le faire, la valeur éducative du principe de l'enseignement par la douleur: