Ils sont sans visage. Il sont courts sur pattes et par principe tout à fait sympathiques.
Ils sont sans visage, pour mieux nous ressembler mon enfant.
Car tout est là : les petits hommes nous disent, à notre place, quoi faire, comment nous comporter, comment être attentifs ensemble, comment laisser la place aux personnes qui en ont plus besoin, comment ne pas oublier que la propreté est l'affaire de tous, comment ne pas retarder le métro parce qu'on aurait bloqué la porte avec le pied, comment ramasser les crottes de son chien, comment surveiller ses enfants dans les escalators, comment surveiller son voisin sur le strapontin.
Et non seulement ils nous le disent, mais il le disent à notre place. Car au mieux ils s'adressent à nous comme à un interlocuteur, ils nous interpellent, à l'impératif :
Facilitez les opérations de contrôle
Surveillez vos effets personnels
etc, on connait la musique
Mais de plus en plus souvent, ils s'identifient, ils disent : JE.
J'aime mon quartier, je ramasse
Je tiens mon chien en laisse
Je dis bonjour au conducteur
Dire JE à la place de VOUS. Ou même TU, allons, mettons que les petits hommes ronds nous tutoient, ce serait un pis aller s'il faut vraiment les avoir sur le dos, un pis aller de les voir nous tutoyer, plutôt qu'il se mettent comme ça à notre place.
Car ils disent JE pour mieux nous ressembler mon enfant.
Cela en dit long sur l'idée derrière la tête de ceux qui travaillent à la configuration de notre espace public, de notre espace commun. Nous sommes tous, hommes et femmes finalement, considérés comme perpetuellement mineurs, et destinataires de ce fait de consignes simplifiées, intériorisées, prémâchées. Du surmoi en lait berlingot concentré sucré. Nous sommes tous enfants inéduqués et de plus en plus incivils, à qui ils faut tenir la main et dire quand il est nécessaire de dire bonjour à la dame.
Recevoir des ordres sous formes d'enfantillages, quelle belle façon d'être citoyen, pour employer un mot que les petits hommes ronds affectionnent.