Tout Petit Môme.

Publié le 08 avril 2009 par Mélina Loupia
Ce midi, cette folie que c'était dans la maison familiale.

Entre les deux qui allaient se tremper dehors pour remplir les sacs réutilisables et vider le coffre de la bagnole ras la gueule sous la pluie qu'on aurait dit que c'était de la neige si ça avait pas été de la pluie, la première qui tentait de gérer la faim du paternel et la fatigue du tout petit, tout en tentant de ne pas ranger les crevettes fraîches dans le buffet de la vaisselle, tout le monde était un peu au taquet, même les saucissons cathares sur pattes qui n'étaient pas forcément là pour aider à ranger les courses aux bons endroit mais éventuellement choper au vol une poularde.

Du coup, une fois tout rangé, tout fermé et tout cuit, à table, tout le monde a bien failli faire dodo dans la purée.

Sauf mon neveu.

Lui, dodo, nuit, jour, sieste, repos, glandage, il sait dire, mais faire, c'est pas son truc.

3 ans.
Pas tout à fait 1 mètre, encore que j'aie une notion des distances et des longueurs toute relative, mais tant que ça a besoin d'une chaise pour atteindre le plan de travail dans le but d'y faire un ménage assez radical et définitif, ça doit faire moins d'1 mètre de haut.

3 ans.
2 yeux qui ne sont en fait qu'un seul regard. Perçant, inquisiteur, poignant, et surtout omniprésent. Cet enfant ne regarde pas le monde, c'est le monde lui-même qui se jette dans ses yeux.
Et nous avec.

Et ce midi, en touillant mon café jusqu'à en séparer les molécules d'eau et de caféine, les yeux pas tout à fait dans le vague, j'observais à son insu, pour une fois, ce petit guerrier parti à la conquête du monde.

Il avait glissé une chaise jusqu'au plan de travail, l'avait grimpée, puis stabilisée contre le meuble.
Ainsi debout sur l'assise, il s'était emparé d'un support entièrement démontable sur lequel on accroche 6 mini-planches à découper, 3 de part et d'autre d'un taquet en bois traversant la planche centrale, laquelle repose juste dans une saignée d'une dernière servant de base.

Pour les deux du fond :

C'est pareil sur le principe, sauf que pas tout à fait. En gros, on a une planche par terre, creusée en son centre par une rainure dans laquelle une autre planche verticale vient s'empaler, laquelle est partagée par un taquet en haut qui dépasse d'autant d'un côté que de l'autre. Et sur ce taquet, on empile 6 planches à découper.
Am I clear?
Non?
Toujours pas?
Peu me chaut. (prononcer avec l'accent je m'en branle)

Le souci étant qu'avec le temps, le bois ayant gonflé, seules 4 planches, 2 de chaque côté peuvent tenir accrochées sur le support. Ce dernier ayant subi également les affres du temps et de la vaisselle, sa stabilité s'en trouve très approximative. C'en est à tel point que désormais, nous autres, les grands adultes sévères n'y rangeons que très rarement les dites petites planches. D'ailleurs, c'est ce qu'on avait fait ce midi. Autant dire que c'était un peu comme au fond de la Méditerrannée ce plan de travail. Le gros bordel.

Ce à quoi le môme a voulu remédier en tentant de défier les lois de la gravité et de l'équilibre.
Il s'y est repris à 10 fois au moins pour tenter d'accrocher les 6 planches et les faire tenir, avec chaque fois la même conviction et détermination.

On regarde souvent les bébés tenter de vider la mer à coup de seaux en plastique dans un trou de sable inéluctablement comblé par les vagues.
Et on s'attendrit, on se dit que c'est comme ça qu'ils apprennent la vie, le monde et le mouvement perpétuel des grandes choses, trop grandes pour eux. Mais eux, ils ignorent tout de la complexité.
Ils associent doucement leurs gestes à leurs résultats et impacts sur ce qu'ils touchent.
Ils appréhendent l'intéractivité.

Sans nous.
Sans notre Intervention.

Le môme, là, il se sentait seul au monde.
Pas de pression autre que celle qu'il avait mise sur l'ustensile dont il avait fait un jeu de patience.
Les gestes lents, calculés, l'erreur commise ne sera pas répétée.
Il a assez vite compris que quelque chose clochait dans le matériel mis à sa disposition après l'avoir entièrement démonté et remonté avec autant de précision et de logique qu'un adulte.

Sauf qu'un adulte, il captive pas autant.
Et pourtant, cet enfant avait des gestes, une réflexion et une concentration d'adulte.
Et ça m'a fasciné.
J'ai décidé de lui donner mes quelques minutes que mon monde d'adulte me vole au détriment d'une certaine légèreté.
Parce que ce que je voyais, c'était probablement la dernière fois que je le voyais avec autant d'intérêt.

Effectivement, le fait que je sois entièrement captivée par la victoire d'un enfant de 3 ans sur l'apprentissage m'a fait m'interroger.
Pourquoi étais-je tant touchée par sa détermination, son application et surtout, pourquoi malgré tous les risques qu'il prenait, d'une part de glisser de la chaise d'autre part encore de finir par détruire l'objet, je n'ai pas pensé une seule seconde à le mettre en garde ou tout simplement l'aider?

Tout simplement parce qu'un enfant qu'on pense ou qu'on voit trop petit pour réussir son entreprise arriver à ses fins avec l'attitude d'un adulte, c'est un peu comme une comète. Un moment unique, éphémère.
Une acquisition de plus qui nous paraîtra banale dès demain, de la même façon que demain, le petit ne s'intéressera probablement plus aux planches de bois ou ne captera plus mon attention à ce sujet.
Ce sera rentré dans le tiroir des acquis.

En revanche, ce qui m'émerveillera toujours autant, et que je me refuse à en connaître l'explication rationnelle , c'est comment les enfants arrivent tous seuls à grandir dès lors qu'on ne les aide pas sur tout.
En l'occurrence, personne ne lui a jamais montré comment ranger les planches, comment faire tenir le support ou comment rapprocher et stabiliser la chaise de façon à ce qu'il se sente en sécurité mieux que si j'étais intervenue.

Du coup, j'ai encore envie de croire qu'il y a quelque chose de magique dans les enfants que nous, parents, détruisons inconsciemment alors qu'il suffirait juste de leur lâcher la main un peu plus souvent que nécessaire.