Magazine Journal intime

Vas-y file moi dix balles que je me foute une balle

Publié le 08 avril 2009 par Orangemekanik

J’ai tout de suite su que c’était pas du cul qu’il voulait fifi en me sortant de la rue. Qu’il était pas comme tous ces pervers qui te proposent la botte contre un pack de bière. Alors quand il m’a dit : « Je vous ai pris RV avec l’assistante sociale », je lui ai répondu que le RMI, je voulais pas abuser de ma misère. Même pour de la maille. Que pour moi c’était comme une insulte. Que j’aimais tellement pas faire pitié que quand je faisais la manche, je préférais encore que les gens croient qu’il me manquait dix balles genre pour m’acheter une Rolex. Ou une Porche. Que tout l’or du monde pour un sandwich. Ou une bière.

« Vas-y file moi dix balles que je m’achète un jet. Moi aussi je veux des étoiles des stars de la jet set »

Ca faisait rire les gens de gauche. Ceux qui savent qu’un sourire c’est déjà mieux que rien. Ceux qui voudraient. Mais qui peuvent pas. Parce qu’il y a tellement de misère que s’ils donnaient à tout le monde, leur salaire n’y suffirait pas. Mais à part deux ou trois blagues racistes, j’y connaissais rien en humour de droite. Rien pour ceux qui pourraient. Mais qui veulent pas. Parce qu’ils paient déjà assez d’impôts comme ça. Et que tout juste s’ils t’envient pas parce que toi, t’en paies pas. Y’en a même, ils croyaient que le trésor public, c’était comme son nom l’indique : qu’il était vraiment public. Et que je me  servais dedans. Toute façon, les gens de droite, ils ont que des billets. Et même si, avec toutes les pièces jaunes que les gens de gauche me refilaient, je pouvais largement leurs rendre la monnaie, les fachos, impossible de les dérider. Ils rient tous jaune, on dirait, ces gens là. Je dis les fachos, c’est juste parce que pour les gens de droite, y’a pas de mot. Pour la gauche, y’a gauchiste. Pour le centre, centriste. Mais pour la droite, y’a quoi, à part facho : droitiste ? Mais t’inquiète hein… je sais très bien que y’a pas que des fachos chez les gens de droite. Ce serait comme de dire que  tous les socialistes sont de gauche. 

Fifi, lui, n’avait l’air ni de gauche. Ni de droite. Il ne parlait pas en proverbes. Mais d’après son accent, il était né ici. Quand il s’allumait une clope, il nous en offrait une. A chacun. A Momo et à moi. En partant, il nous avait même laissé le paquet. Presque plein. Même Momo disait que c’était un bon gars. Je pensais pas que deux jours plus tard, il me laisserait. Que plus jamais il me prendrait dans ses bras quand j’aurais froid. Que plus jamais je lui dirais : « Putain mais pourquoi j’ai pas fait VIP. Ou people. Au lieu de SDF. Ou folle ?! » Que plus jamais il me  répondrait : « Tu reprends des patates, avant de passer au gratin ? ». Vas-y file moi dix balles que je me foute une balle.

Momo n’était pas à proprement parlé un SDF. Mais depuis que Théo, son meilleur ami, était mort, il préférait galérer avec moi dans la rue. Que dans sa cité. Et même si, régulièrement, il allait voir sa mère et ses sœurs pour les rassurer, il pouvait pas rester plus d’une journée là où Théo s’était pendu. Après 24 ans d’une amitié sans faille. Une vie entière dans la cité.

Momo et Théo, c’était comme les dix doigts de la main. Depuis la maternelle. Ils avaient tous les deux décroché en primaire. Ballotés de voie de garage en voie de garage ils avaient fini dans le business. Comme tout le monde. Mêlé à un règlement de compte qui avait mal tourné, Théo passait son temps à esquiver les flics. Dans sa course infernale, Momo l’avait suivi. Moi aussi. Je pensais que nous trois c’était pour la vie. Je pensais qu’à la fin ça pourrait finir bien. La vie avec eux à l’arrache. En sursis. A jamais penser à demain. Rouler vite. Le cerveau explosé par les bass et le shit. Ne plus penser. Partir loin. Ailleurs. Partout. Et même nulle part. Du moment que c’était avec eux. Gagner du temps. Toujours du temps. Du temps à croire que t’as pas peur. Pas peur du moment présent. Où tout peut basculer. Jouer un rôle. Devenir quelqu’un d’autre. A te bruler les ailes. Jouer avec le feu. Toucher le danger. Et s’en sortir indemne. In  extremis. Se dire que t’es tout puissant. Invincible. Immortel. Croire en dieu. Croire que la vie est éternelle. Et que plus rien n’est important. Ni la faim. Ni le froid. Ni la soif. Mais boire. Tout le temps. Pour oublier. Oublier que t’as froid. Que t’as faim. Que t’as soif. Oublier le flip. Le trac. Les flics qui traquent. Fatigué. Comme si t’avais cent ans. Fatigué de  se cacher. De brouiller les pistes. Fatigué d’anticiper tout. Le probable. L’imprévisible. Fatigué de dormir. Sur le qui vive.Vouloir mourir. Pour ne plus sentir ton cœur qui bat à mille à l’heure. Mais faire semblant. Semblant  d’y croire encore. Juste pour se rassurer. Avoir moins mal. Se sourire en pleurant. Pleurer en souriant. Se Mentir. Les yeux dans les yeux. Mais savoir. Savoir que c’est la fin. L’inéluctable. Et qu’il n’y a plus d’issue.

Théo disait toujours qu’il préférait mourir que d’aller en prison. On l’avait toujours cru. Sauf le jour où il l’avait fait. Ce jour là, on pouvait pas le croire. La veille il nous disait encore qu’il pensait à se rendre. Faire sa peine. Et qu’après, on se quitterait plus. Eux et moi. Jamais. Il avait dit se rendre. Pas se pendre. On l’avait tous encouragé. Même les frères Bog et Danoff. Deux anciens jumeaux de la cité. Ils disaient que deux ans, c’était rien. Qu’en sortant, il en aurait que 26. Et que eux, ils en feraient bien dix si en échange on leurs offrait une nouvelle jeunesse. Mais les frères Bog et Danoff avaient 40 ans. C’est normal. Si la prison était une machine à remonter le temps. Tout le monde voudrait y aller. Et tel qu’on le connaissait, Bog aurait envoyé son jumeau à sa place. Comme il l’avait toujours fait. Pour lui monter ses coups. Avec les filles. Ou au tribunal. Parce qu’il parlait mieux que lui. L’un avait la tête. L’autre les poings. Ils n’étaient pas jumeaux pour rien. Momo était content. Il disait que dans ce monde pourri, pour être libre, fallait d’abord comprendre qu’on ne l’était pas. Car Momo ne voulait pas l’avouer, mais il était dix fois plus intelligent que nous. Il avait promis à Théo qu’il veillerait sur moi. C’est ce qu’il avait fait. Jusqu’à sa mort. Jusqu’à ce que fifi prenne le relais. En fait. Comme s’il avait accompli sa mission. Il était mort en souriant. A ce qui parait. D’une insolation. Sur la plage.

Trois mois plus tard, je devenais RMIste.


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