Je ne l’avais pas remarqué, inconnu au milieu des autres dans l’escalier qui mène à la station de métro en bas de chez moi. Il marchait vite, moi aussi. Arrivé aux machines électroniques qui lisent nos cartes et compostent nos billets, il était devant moi. Il a pris appui sur ses deux bras, levé ses deux jambes ensemble et avec grâce pour les reposer dans le maigre intervalle entre le tripode en métal et la porte automatique, puis il s’est glissé avec l’aisance d’un chat dans l’interstice entre cette porte et la paroi de la machine. C’était rapide, précis, exécuté avec la force et la précision d’un gymnaste, mais silencieusement et presque élégamment, comme dans un souffle. Son pas n’avait pas ralenti. Le mien non plus. “Joli geste, ma foi” me suis-je dit, admirative, avant de penser instantanément qu’il ne faudrait pas qu’il y ait des contrôleurs dans les couloirs.
A cet instant, je les ai vus. Toute une équipe, vêtue de ces blousons immondes qui les font ressembler à des Bibendum qui auraient passé la nuit sous un pont. Comme toujours, il y avait un ou deux poissons pris dans leurs filets de chasseurs au petit pied. D’un même pas élastique pour lui, pressé pour moi, nous nous avancions vers eux. J’étais désolée pour lui. C’est alors que la contrôleuse qui s’apprêtait à s’occuper de son cas a été appelée par un collègue, vers lequel elle s’est dirigée avec cette nonchalance irritante qui n’appartient qu’aux flics. Profitant du vide, mon fraudeur est passé sans s’arrêter, tout comme moi. Il s’est même payé le luxe de se tromper de couloir et a fait une rapide volte face pour prendre l’autre direction. Derrière nous, le contôle reprenait. Je me suis souri, intérieurement. Décidément, ce jeune chat avait de l’audace… et de la chance ! Mais échapper à des rats de couloirs fait toujours plaisir. J’étais ravie.