C'est ainsi que par un énorme raccourci dans le domaine de la non-transition, samedi soir dernier, je me suis retrouvée désoeuvrée devant mon wok.
VIDE.
Remarque, plutôt une bonne nouvelle, s'il avait été plein, ça aurait signifié que j'héberge du squatteur et ça, c'est interdit par Napoléon.
Donc opération commando dans le frigo.
J'ai pris tout ce que mes bras pouvaient contenir en un seul trajet.
Une barquette de sauté de porc ni bio ni français ni dénervé.
Un oignon de garde ( ça s'appelle comme ça quand on le garde 6 mois juste avant qu'il germe dans le compartiment à légumes.)
Des grisettes en conserve.
Une boite de lait de coco.
Une brique de sauce tomate.
Un boudin de pâte de curry rouge, celui dont on m'a dit qu'après que j'en ai visiblement mis suffisamment pour pleurer des yeux rien qu'en passant le seuil de la porte d'entrée.
Du sel et du poivre.
De la Frial, j'avais rien d'autre, même pas une plaquette de beurre de 87 mois d'âge qui a pris toutes les odeurs du frigo en otage.
J'aurais bien mis de l'ail, mais pas une gousse ou tête qui ne soit pas pourrie sur les 35 que j'ai sorties du pot tout gras derrière la plaque de cuisson. Alors j'ai juste dit que j'en avais mis un peu.
"Bravo maman, c'est trop bon et t'as raison, on sent pas TROP l'ail.
-C'est vrai que ça déchire.
-Tu veux dire ça pique?
-Non, ça déchire.
-J'en pleure de joie.
-Et moi, je sens qu'on va tous carrément en péter d'ici deux ou 3 jours."
Si seulement le délai que j'avais annoncé avait été respecté.
Le lendemain, en route vers la montagne où les parents du conjugué nous attendaient pour un brunch campagnard, entendons salade de gésiers et magrets confits, gigot d'agneau et patates rissolées dans la graisse d'oie, îles flottantes rhum et caramel, cafés et vins à volonté, selon la formule consacrée.
Autant dire que le porc au curry de maman de la veille, il aurait déjà été loin dans les mémoires s'il avait pas sauté sur l'occasion de la digestion dominicale pour se rappeler à nos bons souvenirs en provenances de nos caissons de basses.
Une torture pour éviter que le scandale éclate.
Chaque fois que quelqu'un se dirigeait vers un interrupteur ou grattait une allumette, fallait faire diversion, au risque de faire intervenir le centre de déminage.
Impossible de pouvoir se mettre en échappement libre.
Enfin, vers 17h, la libération.
On prend congé, on s'embrasse, on se dit à la semaine prochaine et pour ma part, je me jette dans la voiture en courant, prétextant qu'il fait un peu frais en ce début d'avril merdique qu'on croirait qu'on est en novembre si le cerisier était pas en fleurs.
Et j'ouvre les vannes.
Je pense avoir couvert 4 octaves en loudness.
Pas peu fière de ma symphonie, j'esquisse un léger sourire d'auto-satisfaction.
Erreur.
Tout le monde s'engouffre dans le véhicule ultra isolé et déjà chauffé.
Pendant que les derniers adieux se font entre l'extérieur et l'intérieur, tout le monde cherche dans le regard de l'autre l'once de culpabilité, l'aveu.
"Tain, mais qui c'est qu'a littéralement chié dans son baigne?
-Pas moi, moi j'ai fait chez mamie.
-Moi aussi et j'ai envie de faire caca maintenant.
-Moi, je suis allé dans le jardin et j'ai fait fuir le chat.
-..."
C'est alors que pour la survie de tous, le conjugué, en chef de famille et tuteur légal, a jugé fort opportun d'ouvrir la fenêtre, côté PASSAGER.
Le mien donc.
Devant laquelle ses parents nous demandaient d'être prudents.
Je n'ai jamais vu un sourire s'effacer aussi rapidement au profit d'un rictus de dégoût et d'incrédulité envers ma personne.
"Non je peux pas croire que c'est toi, la mère de nos petits-fils, l'écume des jours de notre propre enfant.
-C'est qu'elle nous a fait un porc au curry hier et que bon, il nous a fait pleurer toute la soirée.
-Tu vois, j'ai bien fait d'évier les flageolets avec le gigot."
Ils ont failli voter pour me foutre dehors et me demander de rentrer en stop.
Heureusement que je leur ai promis de ne plus m'exprimer sans demanderl'autorisation jusqu'à la maison.
Par précaution, on a roulé toutes vitres ouvertes.
9 degrés dehors.
Le lendemain, j'ai fait des lasagnes au chou.
Le surlendemain, chez ma mère, gratin de chou-fleur.