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Turquie : Bernard « Brachetti » Kouchner a mis sa « ceket » à l’envers

Publié le 09 avril 2009 par Etxe

« Ceket », en Turc, ça veut dire « veste ». Un mot que BBK devrait apprendre par cœur, au cas où il doive répondre un jour aux questions d’un journaliste stambouliote.

Interviewé ce mardi 7 avril sur les déclarations d’Obama en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’U.E. (eh, Barack-Hussein, j’t’en pose des questions sur l’embargo sur Cuba ?), l’ex-French Doctor a une nouvelle fois marqué son allégeance à son souverain poncif : Koucouchner s’est aligné sur la position sarkozienne qui refuse l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Ancien supporter de l’intégration, il rejoint ainsi les colonnes « umpéistes » et s’éloigne un peu plus de ses terres d’origines (la gauche est très largement favorable à l’entrée de la Turquie, à l’exception des amis de Fabius).

Outre le retournement de veste à la Arturo Brachetti et le reniement de ses engagements passés (on est habitués avec lui : ex-communiste, ex-altermondialiste, ex-antiaméricain, ex-radical de gauche, ex-socialiste, ex-ségoléniste, etc.), ce qui est le plus surprenant dans la position de Koutcher (comme l’appellent les Gabonais), c’est son argumentation : il est désormais contre car le Gouvernement Turc a fait pression sur l’OTAN pour empêcher la nomination de l’ex-premier ministre danois au secrétariat général de l’officine militaire US ! Certes, les raisons officiellement avancées par les Turcs sont nauséabondes : ils récusent Rasmussen car ce dernier avait défendu la parution des caricatures de Mahomet dans un magazine danois en 2005. Mais au final de ce mini bras de fer, les Turcs ont cédé, tout en obtenant de menues compensations, comme la nomination de nombreux représentants dans les instances de direction de l’organisation. Ils ont donc fait comme les autres grandes nations, qui profitent souvent des périodes électives dans les grandes instances internationales (OMS, FMI, ONU, etc.) pour monnayer, moyennant des arguties par toujours défendables, leur soutien contre des portefeuilles.

Ainsi donc, l’ami Bernard, qui se targue pourtant si souvent de prendre de la hauteur sur les contingences court-termistes grâce à sa si longue expérience des affaires internationales, fait volte face sur une question de fond en s’appuyant sur un simple incident, plus tactique que politique.Car la « question turque » n’est pas de celles qui se traitent au comptoir de la buvette, fut-ce-t-elle celle de l’Assemblée Nationale. La Turquie est un grand pays qui demande du respect, et sa position stratégique devrait inciter nos dirigeants à faire preuve d’un peu plus d’acuité au moment de rendre des jugements définitifs.

Le « je t’aime, moi non plus » entre Turquie et CEE/UE ne date pas d’hier. Les Accords d’Ankara par exemple datent de 1963 (accord d’association avec la CEE, en même temps que la Grèce), La Turquie est membre associé de l’Union de l’Europe Occidentale depuis 1992 (l’UEO est un « machin » censé piloter la politique de défense de l’UE aux côtés de l’OTAN),  a signé une union douanière avec l’UE cette même année 92 et a été reconnue officiellement comme candidate à l’adhésion à l’UE lors du sommet d’Helsinki de décembre 99.

Grâce à de nombreux échanges avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS et spécialiste du sujet, j’ai pu découvrir progressivement les véritables enjeux de l’éventuelle adhésion turque.

Enjeux géostratégiques : tout le monde s’accorde à dire que la géopolitique du XXIè siècle sera fondée sur les questions des ressources naturelles. La Turquie est une plaque tournante incontournable des échanges énergétiques orient (producteurs)-occident (consommateurs) et devrait voir cette position renforcée (pipeline Bakou-Tbilisi-Cehyan en fonction depuis 2005, projet Nabucco, par ex.). De plus, la Turquie est aussi le « château d’eau » du Proche-Orient, une des clés de la Paix dans cette région (Istanbul vient d’ailleurs d’accueillir le 5e Forum mondial de l’eau en mars 2009). Arrimer la Turquie à l’UE permettrait à cette dernière de peser différemment sur la paix au Proche-Orient et de s’affranchir partiellement des approvisionnements en gaz russe via les problématiques gazoducs « ukrainiens ».

Enjeux philosophiques : refuser l’entrée de la Turquie au prétexte qu’il s’agit d’un pays musulman est une triple erreur. Première erreur : cela signifierait que le projet européen est un projet de civilisation religieux, consubstantiel de la Chrétienté, alors qu’il doit être un projet laïque, social, politique et économique ; deuxième erreur : la laïcité affichée de la Turquie (même si elle doit être renforcée) serait d’un grand secours pour la France pour imposer une Europe réellement laïque, tant les Etats membres de l’UE inféodés aux diktats pontifes sont nombreux (Irlande, Pologne, Italie, etc.) ; peut-être n’est-il d’ailleurs pas inutile de rappeler que les femmes turques ont le droit de vote aux municipales depuis 1930 et aux générales depuis 1934, alors que les Françaises l’ont depuis… 1944 !; troisième erreur : stigmatiser ainsi l’Islam revient à refouler une réalité incontestable, à savoir que l’islam est déjà une des principales religions européennes, avec 20 millions de fidèles (et 40 à l’horizon 2050, soit 15% de la population européenne), et la deuxième dans des pays aussi importants que la France, la Grande Bretagne ou l’Allemagne. 

Enjeux historiques et géographiques : l’argument selon lequel « la Turquie, ce n’est pas l’Europe » est en partie remis en cause par l’étude de l’histoire et de la géographie européenne. L’histoire : la Hongrie, Chypre et la Bulgarie (aujourd’hui membres de l’UE) ont des racines culturelles et historiques communes avec la Turquie, François 1er et les Ottomans furent alliés contre les Autrichiens, Mustafa Kemal Atatürk s’inspira des philosophes des Lumières pour mener à bien sa révolution, etc. La géographie : si l’Europe va de l’Atlantique à l’Oural, comme le disait le Général, il est intéressant de constater que le barycentre de la Turquie se situe bien plus à l’Ouest que les célèbres montagnes russes (30° de longitude env.) ; par ailleurs, les côtes Sud de la Turquie sont à la même latitude que les côtes Sud de l’Espagne et la limite Sud de l’UE est désormais à 200 km de ces même côtes, « grâce » à l’intégration de Chypre au sein de l’UE. Si la Turquie est plus au nord que le Sud de l’Europe et si l’essentiel de la population turque vit sous les mêmes longitudes que les marches orientales de l’UE, alors la Turquie est globalement en Europe.

Enjeux économiques : la Turquie est d’ores et déjà une économie plus puissante que celle des derniers arrivants au sein de l’UE : avec un PIB (en parité de pouvoir d’achat) de plus de 600 Mds de USD, la Turquie est loin devant la Roumanie (225 Mds) ou la Bulgarie (79 Mds), même si en PIB / habitant elle se situe en deçà (8.400 USD env. contre 10.000). En 1980, 6 ans avant son admission au sein de la CEE, la Portugal avait un PIB PPA / habitant (en USD constants 2000) de 11.300 USD. La Turquie est aujourd’hui à près de 9.000, soit un niveau comparable dans la perspective d’une intégration à moyen terme.

Ce qui reste à la fois la principale force et la principale faiblesse de la Turquie reste sa démographie. Forte de ses 71 millions d’habitants, elle fascine et elle fait peur. Si elle pourrait devenir une des réponses au vieillissement des pays de l’UE (un quart des Turcs ont moins de 15 ans !), elle pourrait aussi être d’entrée le pays le plus peuplé d’Europe (les projections donnent 80 millions d’habitants à horizon 2014, soit autant que l’Allemagne). Ce qui signifierait autant de députés Turcs à Strasbourg que de Français ou d’Allemands ! Difficile à accepter pour les pères fondateurs de l’Europe.

On peut considérer que l’élargissement à 27 est déjà un trop grand pas vers la dilution du projet européen et que l’entrée de pays comme la Bulgarie, la Roumanie ou Chypre est prématuré. C’est mon avis. Mais dans l’hypothèse ou l’UE venait encore à s’élargir, la Turquie aurait toute sa place dans le projet. Dans tous les cas, on doit bien sûr regretter que les eurocrates aient privilégié le symbole de l’enfoncement définitif du mur de Berlin avec les adhésions « éclair » des PECO (Pologne, Roumanie, Bulgarie, etc.) à un autre symbole bien plus puissant.  En effet, puisque l’Europe s’est construite à coup de symboles (dialogue De Gaulle – Adenauer, le Pont de l’Europe entre Strasbourg et Kehl, Kohl et Mitterrand main dans la main, Airbus, etc.), que dire de la puissance symbolique de l’adhésion d’un pays majoritairement musulman, pont entre l’Orient et l’Occident ? L’UE aurait alors les moyens de prendre le leadership sur bon nombre des sujets qui agitent le monde.


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