L’homme gras et mal rasé enfourna un sandwich de plus sous les yeux dégouté de son comparse qui se demandait comme il pouvait avaler tant de mayonnaise sans tomber raide mort sur l’instant d’un infarctus. Il y avait dans ces yeux un mélange de honte, de pitié et d’admiration devant la performance de cet autre homme avec lequel il devait partager sa nuit de garde. Il plissa d’ailleurs le nez quand une nouvelle vague nauséabonde lui suffoqua les bronches. Le gras, Simon était écrit en gros sur son badge accroché à sa blouse, avait l’art du pet sournois. Ses vents ne faisaient pas le moindre bruit et prenaient toujours leur victime en défaut à un moment où il devait aspirer impérativement de l’air plutôt que de mourir d’asphyxie. L’autre, appelé Fabien par une mère qui ne l’avait pas désiré, le soupçonnait de le faire exprès. Les deux blouses blanches passaient le temps devant les moniteurs affichant ça et là couloir et salles communes désertés par les pensionnaires endormis.
Il y avait toujours dans l’air cette odeur de vieille carne, d’enveloppe ancienne. Comme si au fil des ans, les pensionnaires de l’asile avaient imprégné les murs. S’étaient distillés en eux. Une forme de malédiction qui courait dans les couloirs. Un vent de solitude. Le temps n’est jamais beau quand on vit ici, quand on travaille ici, quand on meurt ici. Il y a toujours un hurlement, un jappement, quelqu’un qui pleure derrière une porte blindée. Comment savoir qui de ceux qui sont là sont les fous et les sains qui sont devenu fous d’être à tord enfermé, les sains qui le crient qu’on ne croit pas, les fous qui le crient qu’on ne croit plus. En fait, heureusement qu’il y a les hurlements, sinon Fabien deviendrait sans doute le prochain fou avec ce compagnon de soirée. Quelle plaie que d’avoir à supporté ce porc. Les écrans projetés une pâle lueur bleutée et pleurante sur l’obscurité de leur cage de plexiglas. Seul un écran était en couleur, réglé sur la chaîne des dessins animés que Simon aimé tant. Et tant pis pour Fabien qui aurait nettement préféré voir le match de ce soir. Pas tant qu’il aima le football, mais à choisir avec les dessins animés.
Simon éclata d’un gros rire adipeux qui fit remonter chaque plis de son ignoble besace jusqu’à ses seins gras et proéminent. Fabien crut tout d’abord que c’était dû à une scène sur la trente-six centimètres… Il fut aussitôt submergé par l’odeur infecte et acide et détourna le visage aussi vite que possible. C’est alors qu’il aperçu, les yeux légèrement troublés de larmes, une silhouette qui remontée le couloir obscur face à eux. C’était une femme, ou un homme mince… Efféminé peut-être ? Non c’était bien une femme qui s’approchait d’eux. Elle n’était plus qu’à dix mètres mais elle ne produisait pas le moindre son en marchant. Son visage restait caché par les ombres. Il ne pouvait le distinguer clairement, tant les cheveux blonds de la femme semblaient cacher son visage.
« Comment est-elle rentrée ? » se demanda tout haut Fabien, ce qui eut l’heur de sortir Simon de sont microcosme égoïste via un stupide « Humffrr ? »
Mais Fabien ne lui précisa pas la nature de son interrogation. S’ailleurs s’était inutile, la femme était maintenant à seulement deux mètres de la vitre et son visage lui était révélé par la lueur des écrans. Ce dernier était d’une pâleur effrayante et de profonds cernes se creusaient au-dessus de ses joues creusées par la fatigue. Mais c’était ses yeux qui les premiers retenaient le souffle de Fabien. Toutes ses interrogations sur sa présence ici n’arrivaient plus à franchir la barrière de ses lèvres. Elles restaient pétrifiées au fond de sa gorge. Il savait. Il sentait que quelque chose dans cette femme clochait sérieusement. Il eut tout de même le temps de se demander plusieurs fois si elle ne faisait pas partie de leurs résidents, mais les vêtements qu’elle portait, un corsage rouge sous une robe noire, ne cadré pas avec ce qu’il connaissait de ceux qui arpentaient leurs couloirs. Simon à côté de lui émit une nouvelle onomatopée, mais pas plus que lui, il ne semblait trouver ses mots fasse à l’inconnue.
Elle parla… « Où est-il ? »
Elle attendit quelques secondes scrutant les visages des deux hommes qui reflétaient tout deux une parfaite incompréhension de la question.
« OU EST-IL ?! » Hurla la femme à travers la vitre. Fabien blêmit devant la violence et la haine qui se dégageait d’elle. Simon recula sur son siège. Les murs se mirent à trembler et la vitre vola en éclat juste avant que le crâne de Fabien ne soit écrasé par la chose qui se cachait aux pieds de la femme. Alors le monde fut noir et silencieux. Simon lui aussi, ne comprit pas ce qui se passer avant que la mort ne l’enserre de ses bras et fasse éclater ses poumons et ses intestins sous la pression.
— Eleken,
Encore un petit bout de cette introduction qui prend forme