Chez tous les peuples de la terre, Dieu est du sexe mâle. On ne peut placer son espérance en autre chose, en des seins de lait et une nudité sans audace, quand on regarde dans la froideur des étoiles, le bouillonnement du volcan, les tourbillons d'un typhon.
Pour que les vers puissent dévorer l'homme comme une vieille pantoufle, il faut d'abord que la nature l'écrase et le foule aux pieds. La femme, elle, s'abandonne et sombre. Elle est végétation, foisonnement, croissance, épanouissement, puis enfouissement et à nouveau croissance; mais comme la bête et aussi solitaire qu'elle, l'homme passe sur la terre sans se fixer ni prendre racine. Il est un véhicule de vie. La où il est, il porte l'univers avec lui.
Lorsque tu tournes autour de l'immense chêne et que tu lui fais l'hommage de la danse des moissons, souris, sois gai. L'arbre peut être très grand, il est du sexe des mères, c'est une petite protubérance de la terre. tandis que la bête, avec cette vie qu'elle porte en elle, touche la terre seulement de ses griffes.
Elle va et cherche ses pareils, non la terre.
Quand un homme dit:" Ce que j'ai fait, ce que j'ai supporté, aucune bête n'aurait pu le supporter", il a connu le summum de la souffrance.
Une vie d'homme dans laquelle il n'y a point eu ce moment a été une vie perdue. Cet homme a les pattes feutrées et il a si peu marqué le sol qu'il a foulé que vous auriez pu glisser une feuille de papier entre son pied et la terre.
Il n'est rien, il ressemble à quelqu'un qui traînerait derrière soi sa vie dans un sac en craignant de l'oublier quelque part.
Lorsque vous lirez cela, vous voudrez naturellement montrer ce que vous valez, vous allez vous redresser et, à la façon de ces souris de montagne que l'on appelle les Lemmings, éclater littéralement de colère. Mais je sais ce que je dis.
Voyons ce qui se passe quand un homme aime.
Quand un homme pose la tête sur le sein de la femme, c'est qu'il est l'heure de son crépuscule, ce crépuscule qui rend tous les animaux craintifs. L'homme demeure seul, et le monde qui l'entoure reste un monde étranger.
(...)
Tout cela, je le dis pour des hommes, non pour des femmes ni pour ceux qui traînent leur sac.
Les femmes ne savent rien de ce qu'il y a de grand et de redoutable dans l'homme. Comment le sauraient-elles? Elles ont une démarche assurée, elles franchissent les portes les premières et sont saluées par tous. Mais ici, il ne s'agit pas de l'ordre des choses mais d'un tout autre problème. C'est tout à fait comme l'arbre qui, parce qu'il sait que la bête ne le mangera pas, la tient pour édentée. Les femmes, elles, voient nos dos voûtés, nos lunettes, elles nous voient penchés sur nos dossiers, elles nous voient trop jeunes ou trop vieux, elles nous voient nous baisser avec peine, elles nous voient en chômage, désorientés dans ce monde, elles nous voient ouvrir leurs portes et sourire, elles nous voient proches et épais. Rien, elles ne savent rien !
Joachim Fernau, Rapport du capitaine Pax sur ce qu'il y a de grand et de redoutable dans l'homme, Robert Laffont, Traduit de l'allemand par Imogen et Guy Bechtel.