Magazine Humeur

Les afro-orientales de Kerima AHMED

Publié le 12 avril 2009 par Icipalabre

Proposition de décryptage d’une oeuvre de l’artiste éthiopienne Kerima AHMED

Harrari Cityscape, Kerima Ahmed, acrylique sur toile, 80X100

Harrari Cityscape / Kerima Ahmed / Acrylique sur toile, 80X100

Comme nombre d’anciens étudiants de la Fine Art School de l’Université d’Addis Abeba, Kerima AHMED (diplômée en 2202) a tout appris des techniques occidentales de l’art et de la peinture en particulier. C’est là l’une des particularités de cette école pourtant africaine fondée en 1958, à savoir que l’enseignement donné aux élèves s’est toujours référé aux techniques européennes tout en proposant une analyse poussée des grands courants de l’histoire de l’art. Effet de mode ou influence du corps enseignant, l’une des tendances majeures que la jeune génération d’artistes éthiopiens s’est appropriée dans les années 2000, a été notamment les styles symbolistes et décoratifs de l’Art Nouveau et en particulier de la Sécession viennoise présidée par Gustav Klimt au tournant du XIXème et XXème siècle.
A l’instar d’Elais Areda et de Robel Berhane dont Ici Palabre a présenté les oeuvres dans de précédents articles, Kerima Ahmed ne s’est certes pas contenté de subir cette influence mais en a détourné les principaux caractères en les “éthiopianisants” dans une approche très contemporaine.
Son oeuvre se fonde sur une représentation orientalisante de paysages urbains qui se réfèrent essentiellement aux particularismes architecturaux de la ville de Harrar dans le centre-est de l’Ethiopie. Malgré la présence d’éléments ornementaux, elle diffère assez nettement de la tendance symboliste et purement décorative qui prévaut chez d’autres peintres éthiopiens de sa génération tels que Robel Berhane. Dans les oeuvres de Kerima en effet, l’espace est maîtrisé, notamment par l’architecture et par une adroite combinaison de couleurs qui font ressortir l’élément humain. Mais les fonds ne sont pas uniformes ni indépendants du sujet, comme parfois dans l’Art Nouveau, mais au contraire définissent des perspectives aléatoires et une combinaison de formes géométriques et de couleurs qui évoquent les réalités esthétiques et architecturales de Harrar. Des femmes musulmanes (comme elle), revêtues de simples mantes noires, rouges ou jaunes, semblent comme emprisonnées dans la géographie complexe d’une mosaïque de maisons, murs, toitures et objets qui suggère le poids de l’ordre social, de la tradition, des croyances et des obligations religieuses. Les à-plats de couleurs unies utilisés pour les vêtements créent dans ce tableau une rupture franche avec les autres zones colorées et permettent ainsi de concentrer la réflexion sur le rôle des personnages et la raison de leur présence. Quatre femmes qui portent le hidjab, signe d’une acceptation des recommandations coraniques, ou signe d’une résignation désespérée. L’artiste, par le jeu habile des formes longues et ascendantes, incite le spectateur à porter son attention sur les visages, et par conséquent sur les sentiments qu’ils pourraient exprimer.
Ces femmes sont-elles libres? Libres de leurs choix? Conformistes ou réfractaires?
C’est précisément la question que pose cette oeuvre et qui fait tout son intérêt.

Kerima Ahmed dans son studio-galerie (Nubia Art Studio)

Kerima Ahmed dans son studio-galerie (Nubia Art Studio)/ mars 2009 / ©Ici Palabre 2009

Kerima Ahmed est une jeune artiste de 32 ans, diplômée de la “Fine Arts and Design School” de l’Université d’Addis Abeba en 2002. Au cours des dix dernières années, elle a participé à de nombreuses expositions collectives dans la capitale éthiopienne. C’est en 2004 qu’elle présente pour la première fois quelques unes de ses oeuvres dans une galerie étrangère (Galerie Wit, Wageningen, Pays-Bas). En 2005, la célèbre Galerie Peter Herrmann de Berlin sélectionne à son tour les tableaux de Kerima pour l’exposition collective “You saw all. You know one” coordonnée par Yenatfenta Abate, une artiste éthiopienne installée en Allemagne. 28 artistes figurent au catalogue, dont Merikokeb Berhanu , Daniel Asfaw, Solomon Asfaw et Nebyou Tesfaye, tous d’anciens étudiants de la Fine Art School d’Addis. C’est la première fois qu’une exposition de cette ampleur consacrée à la nouvelle génération d’artistes contemporains éthiopiens se déroule en Europe.
Parmi eux, beaucoup ont depuis été tenté par l’étranger et forçant le destin, se sont installés pour nombre d’entre eux sur la côte ouest des Etats-Unis, convaincus de pouvoir réaliser leur rêve de carrière en se rapprochant d’une des zones les plus actives du marché international de l’art. Kerima, que j’ai pu rencontrer au mois de mars dernier à Addis Abeba, n’a pas fait ce choix, persuadée que son travail auquel elle se voue avec passion et conviction, la conduira un jour ou l’autre sur la route du succès et de la reconnaissance.
 
Plusieurs oeuvres de Kerima Ahmed seront exposées au concert-exposition “Soul’n Paint” au restaurant The Paillote à Djibouti du 19 au 22 avril 2009. Vernissage le 19 avril à 19h30.

NJ
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