Dans l'écriture il y a toujours ce qu'on garde parce qu'on trouve que ça fait sens, et ce qu'on jette, ou plutôt ce
qu'on perd. Dans l'écriture de l'actualité cela donne des choses exaspérantes, désespérantes, surtout quand le sens cherché est si pauvre ; les exemples sont nombreux, est-ce besoin d'en
citer? Des pans entiers de la réalité passés sous silence pour que l'étai du discours dominant ait l'air plus solide.
Mais même dans d'autres types d'écritures, puisque toutes veulent rendre compte du monde, d'une manière ou d'une autre, il y a du réel passé sous silence, parce qu'il ne rentre pas comme il faut
dans ce qu'on pense avoir à en dire.
J'ai comme ça un petit remords, et malgré les jours qui passent je repense souvent à ces mains de batteur dont je n'ai pas
tout dit.
Car dans le fil de notre conversation, il m'a montré sur sa main une très infime cicatrice, j'avoue ne plus savoir où elle se trouvait, si c'était sur la tranche de la paume ou sur un doigt. J'ai
demandé la cause. Il m'a dit qu'il n'en savait rien, que c'était une cicatrice trop ancienne, une cicatrice d'enfant, une cicatrice d'avant le temps de la mémoire.
Depuis je repense à cela, à cette toute petite cicatrice qui ne peut en aucune manière être une écriture, puisqu'elle ne parle pas, elle ne raconte pas d'histoire, puisqu'elle est si petite que
pas même les témoins adultes, les parents, n'ont cru bon d'en transmettre quelque chose. Et pourtant elle est là, elle accompagne la peau, c'est à jamais une partie de sa peau qui reste enfant,
qui littéralement ne parle pas.
J'y pense, c'est tout. Je lui donne quelques mots.