[Andromaque à Hermione]
Où fuyez-vous, Madame ?
N’est-ce point à vos yeux un spectacle assez doux
Que la veuve d’Hector pleurante à vos genoux
Je ne viens point ici par de jalouses larmes,
Vous envier un cœur, qui se rend à vos charmes.
Par une main cruelle, hélas ! j’ai vu percer
Le seul, où mes regards prétendaient s’adresser.
Ma flamme par Hector fut jadis allumée,
Avec lui dans la tombe elle s’est enfermée.
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour.
Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
En quel trouble mortel son intérêt nous jette,
Lorsque de tant de biens, qui pouvaient nous flatter,
C’est le seul qui nous reste, et qu’on veut nous l’ôter.
Hélas ! lorsque lassée de dix ans de misère,
Les Troyens en courroux menaçaient votre mère,
J’ai su de mon Hector lui procurer l’appui ;
Vous pouvez sur Pyrrhus ce que j’ai pu sur lui.
Que craint-on d’un enfant qui survit à sa perte ?
Laissez-moi le cacher en quelque île déserte.
Sur les soins de sa mère on peut s’en assurer,
Et mon fils avec moi n’apprendra qu’à pleurer.
J. Racine, in Andromaque (III, 6)