Magazine Journal intime

Le priapisme de Ponge

Publié le 19 avril 2009 par Alainlecomte

[Chronique littéraire de fin de semaine]

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Les Mémoires sont un genre littéraire qui émeut mais peut aussi agacer. Celles de Claude Lanzmann sont ainsi. Le titre en lui-même est magnifique. Moi qui reviens d’un voyage en Patagonie (en février) j’aurais presque pris ce livre pour un récit de voyage. Le lièvre de Patagonie n’apparaît en réalité qu’à la page 192. Lanzmann y réfléchit à la saveur unique qu’il y a à se fondre dans un lieu, à vivre intensément sa rencontre avec l’instant, telle qu’il put la ressentir lorsqu’il avait vingt ans la première fois qu’il fut à Milan, mais telle aussi qu’il la ressentit bien plus tard, à soixante-dix ans (comme quoi, l’âge ne fait rien à l’affaire) lorsqu’il traversa la Patagonie au volant d’une voiture de location. Le passage est intéressant, je le cite :

Remontant seul il n’y a pas si longtemps, à partir de Rio Gallegos, aux confins de la Terre de Feu et au volant d’une voiture de location, la plaine immense de la Patagonie argentine vers la frontière du Chili et le fabuleux glacier du Perito Moreno, je me répétais, joyeux comme dans ce premier train vers Milan : « je suis en Patagonie, je suis en Patagonie. » Mais ce n’était pas vrai, j’avais beau avoir aperçu quelques troupeaux de lamas blancs, la Patagonie ne s’incarnait pas en moi. Elle s’incarna tout à coup, au crépuscule, sur le dernier tronçon de route non asphalté après le village d’El Calafate, dans le balayement de mes phares, quand un lièvre haut sur pattes bondit comme une flèche et traversa la route devant moi. Je venais de voir un lièvre patagon, animal magique, et la Patagonie tout entière me transperçait soudain le cœur de la certitude de notre commune présence.

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(ici, un lapin photographié en Terre de Feu)

Mémoires : livres de méditation mais aussi d’anecdotes. C’est sans doute ce qui fait leur attrait, voire leur succès commercial, surtout quand l’auteur a traversé plusieurs décennies en compagnie de célébrités « des arts et des lettres », comme on a coutume de le dire. Lire les mémoires de Lanzmann, c’est s’assurer à coup sûr d’apprendre quelques histoires sur Simone de Beauvoir et sur Sartre, mais pas seulement : embrouilles avec Deleuze, fâcheries et réconciliations avec Rezvani, Claude Roy ou Chris Marker font l’ordinaire de ces 550 pages, tout commeles escapades aventureuses sur le glacier du Théodule (pas brillants les alpinistes du Boulevard Saint-Germain !) ou l’assaut des dunes du Sahara dans la Simca Aronde de Simone.

Or, les anecdotes, il en est de toutes sortes. Dans mon précédent billet, j’évoquais les amours méconnues du poète Reverdy et de Coco Chanel : histoire intéressante parce qu’elle nous donne un éclairage positif sur deux personnages que tout semble opposer. La couturière en est moins frivole à nos yeux, et le poète moins austère (Bizarrement, cette passion passagère semble n’avoir inspiré jusqu’à présent aucun réalisateur de cinéma, certainement pas en tout cas, semble-t-il, la réalisatrice du dernier film sur Chanel qui sort en ce moment…). Imagine-t-on aujourd’hui une top model amoureuse du dernier prix Abel de Mathématiques ? C’est ça qui serait drôle, un mannequin qui ne délaisserait pas l’esprit avec un savant qui révèlerait qu’il y a encore une chair au-delà des équations.

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Mais que nous apporte le fait de savoir que le poète Francis Ponge souffrait… de priapisme ! ( p. 149). Paul Eluard et Aragon se faisaient quelques sous en recopiant leurs poèmes pour les vendre à des marchands d’autographes. Eluard avait une femme sensuelle et magnifique, Nush (« elle avait des lèvres ciselées et peintes dont le rouge sang soulignait la voracité »). Un jour que Lanzmann débarque à l’improviste chez le poète, il a « le temps d’apercevoir dans un miroir biseauté le pompon rouge d’un marin militaire »…. Ah bon. Que veut dire ce pompon rouge…. Des Mémoires ne résistent donc jamais à la tentation des alcôves ?


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