Nous étions attablés. Le repas allait commencer. Il se leva. Un petit papier entre des doigts devenus immenses. Il commença à parler.
Le voyant retenir à grand-peine un sanglot, cet homme, l'entendant affirmer ce sanglot, j'ai repensé à cette question-là, me disant, un homme de 70 ans qui pleure son émotion devant ceux qu'il a rassemblés, voilà quelque chose qui me donnerait presque envie de pleurer. De ces larmes fières qui roulent sur les paupières, de ces larmes d'amour. De ces larmes qui donnent envie de se précipiter contre celui qui pleure et de l'entourer de ses bras à soi, non pour le rassurer, non pour le protèger, mais pour l'accompagner, être avec lui.
Je savais beaucoup, il faut dire, de ce qu'il y avait dans le sanglot de cet homme-là, mon oncle. Ce sanglot-là. Je savais l'émotion extra-ordinaire qui l'étreignait alors, lui l'orphelin non reconnu par son père, refusé par sa mère, cet homme-là avait autour de lui toute SA famille, celle qu'il a construite au long de ces années, son épouse, ses enfants, ses beau-frère et belle-soeur, ses amis.
SA vie, SA cathédrale.
Il fêtait en l'occurrence cinquante années de mariage et bien plus que cela et je sentais que toute cette journée, il serait silencieux, pas parce que l'on se tait, mais parce ce moment-là étant arrivé, tout arrivait pour lui, tous étaient là dans ce coeur qui battait vite, les présents et les absents. Je devinais qu'il était bien au-delà des mots.
J'ai vu son épouse pleurer, ce dimanche-là, un peu plus tard dans l'après-midi, et cela aussi a fait écho à cette fameuse question. Sa soeur venait de chanter et c'était pour elle, et c'était rare, parce que sa soeur n'aime pas chanter devant des gens elle qui est pourtant dans le milieu du spectacle et qui chante parce que c'est son métier. Mais là, elle chanta, et ma tante essuya quelques larmes, touchée qu'elle était par le chant, touchée qu'elle était par ce don.
Il est des larmes qui sont des mots.
De ces mots pudiques qui ne se disent pas et que chacun comprend. Ils sont de la fierté.