Oui ça arrive. En attendant que ça revienne, je pique des mots ailleurs.
Mon auteur préféré, un roman que je ne lâcherai pour rien au monde, un passage que j'ai appris quasi par coeur...Faut pas être hyper nette.
J'en conviens.
Mais ce truc pour moi est une bouffé d'O2...
J'ai trente et un ans et peu importe. Je sais le poids des morts. Et je sais le mauvais sort. Je sais la perte et le saccage, le goût du sang, les années perdues et celles qui coulent entre les doigts. Je connais la profondeur des sables, j'en ai éprouvé la résistance, la matière meuble, équivoque. Je sais que rien n'est fiable, que tout se défait, se fissure et se brise, que tout se fane et que tout meurt. La vie abîme les vivants et personne, jamais, ne recolle les morceaux, ni les ramasse.
Nos vies sont les mêmes. Nos vies sont pareilles et inquiètes. Nos mémoires délavées, rongées par l'acide, trouées comme du mauvais coton. Notre avenir enfoui, notre histoire illisible, sans contour ni colonne vertébrale, toutes lumières éteintes. Nos vies sont des morceaux mal assemblés, des bout épars qui jamais ne se joignent. Nos vies sont modernes et oubliées, minuscules et laissées pour compte. Millions de fenêtres allumées aux façades, de phares dans la nuit, de corps dans la ville.
Nos vies sont les mêmes. Nos vies sont pareilles et désemparées. Nous avons grandi à l'ombre de nos pères menaçants et froids, dans la fragilité usée de nos mères, nous nous serrions les uns contre les autres au creux de cités gelées, de maisons identiques et horriblement silencieuses, au creux de rues rongées d'angoisse et d'ennui, au milieu d'adultes morts.
[...]
Nos vies sont les mêmes. Nos vies sont pareilles et défigurées. Nous pleurons les mêmes morts et vivons dans la compagnie des fantômes, nos corps s'emmêlent et cherchent en vain l'impossible consolation. Infiniment perdus dans la foule, nos vies tiennent dans un dé à coudre. et nous avons beau nous hisser sur la pointe des pieds, nous demeurons plus petits que nous-mêmes.
Nos vies sont les mêmes. Nos vies se débattent, crient dans la nuit, hurlent et tremblent de peur. Infiniment nous cherchons un abri. Un lieu où le vent siffle moins fort. Un endroit où aller. Et cet abri est un visage, et ce visage nous suffit.
Claire se réveille et s'étire, m'embrasse et Chloé se jette sur elle en riant. Je m'endors pour une heure ou deux. Pendant ce temps-là j'entendrai leurs voix, leurs murmures, leurs rires étouffés, l'eau qui coulera dans la baignoire, le froissement des étoffes. Plus tard nous irons sur la plage, lancer des cailloux dans l'eau grise et bleue. Puis nous marcherons en surplomb de l'eau, et plus tard encore nous roulerons vers chez nous, vers d'autres sables, d'autres eaux. Les oiseaux seront nombreux et la mer retirée. Je sais déjà qu'à mon réveil, quand j'ouvrirai les yeux les rideaux, tout sera calme et lumineux."
Olivier Adam, Falaises