Magazine Journal intime

la chute de Constantinople...

Publié le 19 avril 2009 par Tdeb

la chute de Constantinople...


LE SIEGE DE CONSTANTINOPLE

Lors du siège de Constantinople qu’est-ce qu’ils faisaient ?

Ils étaient en réunion pour discuter du sexe des anges !

 

(Le sexe des anges je ne sais si on l’a trouvé depuis … quoique, si je me rappelle bien Gabriel, l’Archange, comme par hasard, a pu annoncer à Marie qu’elle allait mettre au monde un fils ; comment le savait-il ?

Moi, on m’a dit qu’on les avait vus souvent ensemble et qu’elle lui donnait du « mon cher ange » à tout propos… alors ?

Mais cela ne nous regarde pas.)

-§-

A propos d’anges devenus démons je vais vous conter l’histoire des anti-TGV avant de revenir à Constantinople…

Les anti-TGV (qui n’acceptaient pas le tracé décidé par l’état et la SNCF pour la ligne Sud-est) nous ravageaient toute la région : c’était, un ramassis de personnes d’habitude calmes d’origine très différentes :

de gros bourges ayant leur résidence pas secondaire, mais tertiaire ou x-iaire « en pays d’Aix au mètre carré, ma chère, aussi cher qu’à Paris… si… si ! »,

de gros viticulteurs aux AOC et côtes dorées («en caves particulières d’Aix, du Rhône… vous voyez »),

mais aussi de maigres producteurs de melons (« de Cavaillon…con ! » ; « T’en veux un sur la tronche ! »)

et enfin de retraités, desséchés au soleil, déjà installés le long de la voie ferrée devenue obsolète (« rapport à ce que c’était moins cher, là, Monsieur, rapport au bruit… » ; « C’est vrai, on est sourds, mais quand même, le TGV… ! »)

C’était l’ancien régime faisant donner les manants contre les substructures du chemin de fer.
Bourges « césannisés » et hauts-couturiers en vin rameutaient la troupe, fournissaient conseil et intendance mais observaient les combats à la lorgnette… à défaut d’avoir le courage, ils avaient le vice !

L’armée des gueux était elle très mobile, très motivée, elle courait sur les voies, de jour, de nuit, y manoeuvrait signaux et aiguillages, y déposaient des déblais, des melons (con !), y allumaient des feux, ou s’y regroupaient en bandes et banderoles.

Ce gentil remue-ménage ne nous ménageait pas du tout.

Nous sur le terrain nous n’avions ni moto trial, ni 4/4 pour grimper sur les ballasts, ni moyens autonome d’éclairage, ni radios assez efficaces pour retrouver et observer les protestataires.

Quant à nos supérieurs, en cellule de crise à la préfecture, ils « crisaient » de passer vêpres, laudes et matines à attendre des informations sur les déplacements des anti-TGV, sur l’issue des engagements des gendarmes mobiles et surtout sur la physionomie du trafic ferroviaire… passé, avant l’heure, de l'allure rapide ou expresse à la TGV (entendre : très grande vulnérabilité).

Les usagers répandus sur les voies, excédés, faisaient assez souvent déguerpir les coalisés, résultat que n’arrivaient pas à l’obtenir les forces de l’ordre qui arrivaient après la bataille…
Les clients de la SCNF en déroute se retournaient alors contre les gendarmes mobiles… on déraillait complètement !

Présent à la cellule de crise, j’y côtoyait Préfet, Secrétaire Général, Directeur de Cabinet, les Commandants des CRS, des Gendarmes Mobiles, des Pompiers, le Colonel de Gendarmerie, le Directeur Régional de la SNCF… tout le gratin des chefs de service suspendu aux crachotements des radios et au cliquetis des télex…

On me fit vite comprendre que « l’on était un peu juste en renseignement prévisionnel » et que « cela indisposait… »… c’était le Directeur de Cabinet qui s’épanchait ainsi vers moi, « amicalement ».
 J’expliquais les difficultés techniques auxquelles étaient confrontés mes gars sur le terrain, on compatit poliment mais sans plus et le colonel de gendarmerie profitait à plein de notre hémiplégie pour mettre en valeur les quelques tuyaux qui lui parvenaient.

Au bout d’un moment j’en eus ma claque (à tous les sens du terme) et je décidais de rejoindre mes fantassins pour une meilleure édition du Courrier du Rail en emportant le matériel haut de gamme réservé à notre section anti-terroriste (lunettes de vision nocturne, scanner…).

Le pépé tremblotant, ancien concierge à Nanterre, mobilisé pour un dernier combat anti-TGV, serait bien surpris d’apprendre être promu ennemi public patenté dans l’activisme international… peu importe, la ligne desservait bien l’Europe et les trublions terrorisaient bien la préfecture !

Je demandais à un commissaire en stage dans mon service de me remplacer auprès des sommités. Promu après une longue carrière d’inspecteur à la très virile PJ, il avait quelques difficultés à se familiariser avec les finasseries et les « cabiniaiseries » des RG.

Je lui expliquais donc qu’il lui faudrait transmettre les renseignements à l’interlocuteur le plus important du dispositif, le préfet s’il était là, le secrétaire général sinon, le directeur de cabinet à défaut. Je lui rappelais surtout qu’il ne devait pas être coiffé sur le poteau par les gendarmes…
« Pas de problèmes, j’assurerai !T’inquiètes ! »

Je rejoignais donc la partie géante de colin-maillard, cache-cache et train-prisonnier réunis qui se jouait en rase campagne et sitôt arrivé diffusait, quasiment en continu, nouvelles fraîches et détaillées à destination de mon collègue en cellule de pénitence.

Quelques heures après, quand mes poilus furent rompus à l’usage des merveilles techniques dont je les avais dotés, je décidais de rejoindre le palais du gouverneur pour récolter les lauriers que notre efficacité et notre mérite évidents avaient dû y préparer.

En sueur, je fus fraîchement accueilli (ce qui n’est pas bon : risque de congestion), par le pinacle à peine modifié (le préfet était décidemment absent, le secrétaire général présidait la crise, le colonel avait renforcé son état major sur place, tiens !).
« Ah, bonjour monsieur le commissaire, on va peut-être, grâce à vous, avoir des renseignements de votre service… heureusement qu’il y avait le Colonel de Gendarmerie ! » me lança sur un ton de reproche passablement hautain le plénipotentiaire secrétaire général.

Je vis aussi un œil mauvais s’allumer dans l’orbite « énarclué » du directeur de cabinet qui, par principe, ne nous aimait pas (c'était son droit…)

 

Je livrais donc, la gorge serrée, les dernières nouvelles du front, les chiffres, l’état d’esprit de nos protagonistes avec, en bonus, le paysage et l’ambiance, n’oubliant ni le chant des grillons, ni la déroute des hérissons !

Le colonel tenta quelques interventions que j’interrompis sèchement par des :

« Moi qui vient du terrain je peux vous dire que… » sur lesquels il ne pouvait  bien sûr pas surenchérir…

Le secrétaire général me remercia avec un peu plus de chaleur et je rejoignis mon commissaire stagiaire que je trouvais en pleine dépression, près à l’abandon de carrière ! Il me conta les choses de la manière suivante :

« Dès que j’ai voulu donner au préfet ou au secrétaire général les messages que tu m’envoyais, le directeur de cabinet s’est interposé et m’a demandé de les lui fournir et à lui seul.
Soit il oubliait d’en parler "au-dessus", soit il le faisait sans dire que c’était notre production. Le colonel, lui, se montrait particulièrement zélé et renseignait directement le préfet ou le secrétaire en ajoutant parfois : « les RG ne vous ont pas dit que… » (parfois même pour des infos à nous que le directeur lui avait montrées… )»

La fatigue accumulée faisant mauvais ménage avec la colère, je pris la pile des doubles des messages que mon intérimaire avait eu la sagesse de garder et je rejoignis le SG en conversation avec le colonel. Le directeur de cabinet emboîta instinctivement mes pas car, connaissant mon tempérament, il se doutait que la vraie bataille du rail allait débuter. Il ne fut pas déçu.

J’agressais véritablement les deux hauts responsables, ignorant le béni oui oui à cinq galons.

« Comment avez-vous pu dire ou laisser dire en public que les RG n’avaient pas assuré alors que j’ai ici le chrono minute par minute de tout ce qui a été communiqué à monsieur le directeur… »

« Ce n’est pas de notre faute si celui-ci n’a pas fait son travail par  négligence et si la gendarmerie à voulu nous enfoncer à bon compte… notre mission a été assurée, et avec efficacité, compte tenu des circonstances et du matériel, je peux le prouver devant qui que ce soit.
 "D’ailleurs je vous demanderai, monsieur le secrétaire général, de rendre compte de cet incident à monsieur le préfet. »

Le directeur de cabinet palissait pensant que sa côte pouvait baisser à cause de ces … de RG et le colonel tentait des « mais non, mais non, cher ami, au contraire nous avons tous apprécié une très bonne collaboration avec vos services …»

Je ne quittais plus les lieux jusqu’à la fin du maintien de l’ordre, l’ambiance y était tendue mais seulement professionnelle… c’est tout ce que je demandais.

Le lendemain je fus reçu par le préfet, homme très fin et très connaisseur de la nature humaine : il ne parla pas de l’algarade et je fus obligé de l’évoquer devant lui comme je l’ai fait devant vous.

Je vis très vite qu’il avait été informé de celle-ci en par le menu (le secrétaire général était d’ailleurs très menu), le taulier, dis-je, me confia que la plus grande difficulté,  en cellule de crise, est de casser « les mauvais réflexes corporatifs, carriéristes et hiérarchiques » qui y prospèrent et qui peuvent mettre à mal les efforts consentis sur le terrain.

Il me dit même : « de temps en temps on a l’impression qu’on souffre de la maladie d’Elsheimer : la perception est assurée, la prise de décision possible, mais le courant se perd au long des synapses ! »

On parla enfin de ces animaux préhistoriques attaqués par de grands fauves et qui, du fait de la lenteur ou de l’approximation de leur relais nerveux, ne sentaient la douleur que plusieurs minutes après la première blessure… ils étaient alors à moitié dévorés !

« Rassurez-vous, monsieur le commissaire, on n’a pas été dévoré et je vous en remercie à la hauteur de votre contribution plus que méritante ; je vous remercie aussi de votre « sortie » : je crois que çà n’a pu leur faire que du bien pour l’avenir. »

-§-

Bref, ils étaient bien en réunion à Constantinople, sur le sexe des anges, alors que tout croulait autour d’eux !
On n’en n’a pas tiré les leçons, bien au contraire, et cette manie a perduré au cours des époques à telle enseigne que pour signifier de nos jours que quelqu’un n’est pas immédiatement accessible on dit : « il est en réunion », en ne se donnant pas même le mal d’y ajouter un accent de sincérité.

Dans ces lieux névralgiques (et atteints de névralgie) les informations réalistes ne parviennent plus aux emmurés des conclaves de l’urgence qu’après maint relais, filtrages, « rewrittages ».

Sur la porte d’entrée il y a en effet écrit en lettres définitives : « ne pas déranger car nous sommes en réunion».
Cette consigne, cet ordre, servent de repoussoir à tout ce qui pourrait être mal dégrossi, hors hiérarchie, non recoupé, non analysé, non remis dans le contexte… et pourtant si vivant, si utile !

En symétrie : « On leur dira après » devient le réflexe de la base laissée seule sur le théâtre des opérations, débordée et critique vis-à-vis de ses chefs « dévoreurs de petit fours à l’ombre (ou « au chaud » selon la saison) »

Et Constantinople n’en finit pas de chuter !

Quelquefois, à la fin de la réunion de crise, on annonce l’arrivée d’une haute personnalité qui vient se rendre compte précisément « de l’efficacité du traitement de la crise… ».

Alors, vite, on programme une nouvelle réunion et on convoque à nouveau les donneurs d’ordres, les sous donneurs d’ordres, qui viennent de quitter la salle. On rameute aussi une bonne partie de la base, jusque-là sur le terrain, pour désormais exécuter  des taches aussi importantes que servir de suite à la personnalité ou de surveiller les alentours du nouveau colloque.

A la fin de ces cycles de concertation « crisantes » de grosses surprises peuvent attendre les participants : les données sur lesquelles ils ont doctement disserté sont maintenant bouleversées, rendant inadaptées les décisions prises collégialement sous les lambris. Que faire ? … une autre réunion ?

 
-§-

Parfois même la conjoncture et encore plus sévère :

 

Ainsi à Constantinople, à la réunion, le sexe de l’ange est apparu pour la première fois non dissimulé, incontournable, brut et offensant dans sa présentation, mais c’était trop tard !

 

 

« Au secours, il est maudit et en rut... c'est Bezébuth ! »

 


L’ange leur apprend que leur civilisation a disparu, qu’ils ne sont plus rien, qu’ils gisent dans la fange, le cou rompu.

 

Ils quittent leurs bancs dans la confusion et la consternation.
-§-

 

Recueillons ici le dernier souffle de l’estafette de Constantin XII arrivée à la porte de la cellule de crise :

 

Alors que l'estafette s’effondre au pied du sbire qui garde l’entrée, ce dernier demande :

 

-   « Qui êtes vous ? »

 

-   « L’estafette de Constantin XII, on n’a pas réussi à joindre jusque-là les généraux qui sont ici en réunion, c’est urgent ! »

 

Le sbire (après avoir regardé sa liste des participants) :

 

-   « Vous n’êtes pas sur la liste des personnes prévues à la réunion, vous ne pouvez pas entrer… »

 

Au même moment les admis à la réunion, les yeux encore impressionnés par le sexe de l’ange et les oreilles ébaudies par ses révélations, sortent et butent sur le corps agonisant de l’estafette qui murmure  sans que personne ne l’écoute :

 

 

« Mehmed II entre actuellement dans la ville, il est escorté de trente mille mahométans. Je « viens d’apprendre que Constantin XII se serait réfugié dans la Basilique Saint Sophie « entouré de quelques guerriers courageux, il serait blessé, non, occis ! J’entends de partout « des cris, des crépitements, on dit que les femmes sont violées, les hommes égorgés… çà « s’approche ! Ils sont trop forts ces Turcs ! »

 

Quelqu’un voit le pauvre homme gisant et dit :

 

« Qui est-ce ? »

 

Le sbire répond :

 

« Estafette… ? »

 

Le premier se croyant questionné, rétorque vivement à l’endroit du sbire :

 

« Malotru de sbire (c’est du turc, je crois et veut dire : on n'a pas gardé les raloufs ensemble)  reste à ta place, sinon tu vas entendre parler de moi ! »

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