Magazine Journal intime

Paint In Black

Publié le 20 avril 2009 par Gaspard_w

songkran

 

J'ai chargé mon fusil, réajusté mon short, rallumé ma cigarette et aligné le premier type devant moi, un tir droit, en pleine tête dans l'oeil gauche. Le mec a vacillé, ris et c'est écrasé sur une vague, un truc a exploser, l'île tout entière hurlée à l'unisson. J'ai collé ma crosse contre mon épaule, mon oeil dans le viseur, c'était enfin la guerre.
La plage prise sous la lumière des fusées éclairantes, sous les accords distendus de crissements électroniques, c'est le DJ qui scratch avant de s'écrouler, tête sur le vinyle, touché en plein torse par un gamin de huit ans, t-shirt Harry Potter, fusil a double canon, double gâchette, chargeur de neuf litres, cris de victoire et les parents qui disputent un peu "tire pas sur le monsieur, tu vois bien qu'il travaille". Les parents je les descends, le môme je l'allume. Pas de prisonnier, pas d'orphelin. Le barman j'attends qu'il ait fini de mélanger Samsong, Diet Coke et Red Bull et de lui avoir tendu deux cents bahts pour lui envoyer une rafale dans l'estomac.
Au coeur de la foule ça attaque a la grenade, ça fragmente, ça bombarde, ça antipersonnel et aligne les dommages collatéraux. Vieux, jeune, souriant ou pas, tout le monde y  passe et les tirs s'intensifient et le volume de la musique augmente. Moi je me planque, j'ai fait un trou dans le sable.
Deux gros ventilateurs soufflent vers la foule, crachent vers la mer, le bruit des pales, l'écho saccadé des moteurs comme les rotors des Huey, je fixe le ciel, cherche l'ombre des premiers hélicos, les renforts, les premières rotations de sulfateuses, les premières notes de La Chevaucher Des Valkyries.
À ma droite, un groupe d'Anglaise s'affale dans une série de mouvements mous, touché par une esquade de tireur thaï embusquée. À ma gauche un type a callé son menton sur le canon de son fusil, doigts sur la gâchette il hurle vers l'horizon. Les corps s'empilent, les blessés se multiplient, les rescapés s'éparpillent, l'ennemi avance et le bar ne désemplit pas. La fête a bien pris.
Le réseau radio est saturé, la réception mauvaise, je hurle dans mon téléphone "Bravo tango 67 à base ! Envoyez renfort a l'ouest de la plage ! Embuscade jaune ! Je répète embuscade jaune ! Bravo tango 67 à base. Base ? base ?". Un cliquetis inaudible, une voix inconnue qui me dit "mais qu'est-ce que tu racontes Gaspard ? Putain, mais t'es bourré !" Plus de signal, interférences, j'abandonne mon portable et me tourne vers les lignes ennemies. Le Dj a dû changer de disque, de style, et c'est la montée de batterie de Paint In Black que j'ai dans les oreilles quand je sors de mon trou, quand je fais le compte de mes munitions et que je me tourne vers le corps allongé a coté de moi. "les vrais héros, ça ne revient pas, les vraies médailles on les cloue au cercueil, on les dépose dans les mains des veuves. Il est l'heure de mourir mon frère". Face a moi une masse noire, trois milles soldats, deux milles fusils, et l'ombre des palmiers, les premiers mètres de route, le point d'évacuation que je n'atteindrais pas. Aucune chance. Je tire sur ma Marlboro, crache un nuage de fumée bleue et commence à courir.
J'en descends dix, j'en abats trente, en désintègre cent avant de tomber à mon tour, avant de lâcher mon arme, de poser un genou à terre, de renoncer. Une balle dans l'épaule, dans le ventre, dans le cœur à bout portant. Les bras morts, les yeux vers les étoiles et sur mon visage trempé un cri silencieux qui s'étouffe dans le sable quand je tombe en avant. "Medic !".
On me transporte, on mon rassure, on me sèche, j'ai les yeux ouverts, je suis sur mes pieds, mais le monde tourne et une voix me dit, "t'es chiant a te mettre dans des états pareils", l'infirmière est grotesque, elle ressemble a un pote a moi mais en moins net. Autour de son cou pend un pistolet à eau. Autour de nous, tout le monde a un pistolet à eau. J'éclate de rire, je me casse la gueule, sous une pancarte, sous une série de grandes lettres noires "Joyeux Songkran" et a l'infirmière qui me demande ce qu'il y a de drôle je réponds :  "Rien. Je marche dans la vallée des ombres de la mort. Je suis vivant. Et je n'ai pas peur."

   


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