Je me souviens de Mr L. C’était mon tout premier stage de 1ère année. Mr L. est un homme agé de 70 ans environ, un homme très gentil, une voix douce, jamais un mot plus que l’autre. Mr L. est le tout premier patient que je prend en charge, et il est très fier de ça. Il est fier de m’avoir servi de cobaye pour que je m’exerce à faire mes premières prises de sang, à poser mes premières perfusions. Mr L. est également content que ça soit moi qui m’occupe de lui pour l’aider à faire sa toilette le matin, car Mr L. est un homme de 70 ans, mais un homme extrèmement pudique. Mr L. ne supporte qu’une aide soignante ou une infirmière rentre dans sa chambre quand je lui fais sa toilette et qu’il est dénudé. Il ne le supporte pas, mais il ne le dis pas. Je le lis dans son regard. Mr L. me parle beaucoup de lui, il est agriculteur, marié à une femme qu’il a connu à la maternelle et avec qui il est marié depuis 52 ans. Il l’aime de tout son coeur, elle vient le voir chaque après-midi, mais c’est le soir qu’elle lui manque, avant qu’il ne s’endorme, il l’appelle tous les soirs pour voir si elle est bien rentrée, il lui dit des mots tendres, des mots d’amour, des mots qui, je le pensai, n’étaient plus dit à cet âge. Il me confie qu’il a l’habitude de tenir la main de sa femme pour s’endormir.
Mr L. est hospitalisé car il souffre de traumatismes. Il est très douloureux, ses yeux s’embrument lorsque je dois le mobiliser, “ce n’est pas lui qui a mal, ce sont ses reins” me dit-il. Mr L. est un homme agé, qui souffre mais qui a un sens de l’humour très développé. Chaque matin, à tour de rôle, on se raconte une petite blague, et on commence la journée en riant.
Ca fait presqu’un mois que je m’occupe de Mr L. ses douleurs s’estompent petit à petit, mais Mr L. est fiévreux. Il doit passer une radio des poumons à la recherche du siège de l’infection, il souhaite que je l’accompagne, il a peur qu’on ne le manipule trop brusquement.
Le lendemain matin, aux transmissions, j’apprend que Mr L. à un “néo” aux poumons, on n’aime pas prononcer le mot “cancer” dans notre jargon. Je sent les larmes qui me montent au yeux, mais j’arrive à les retenir. Comment un homme si bon et si généreux peut-il avoir à subir ça ? C’est la question qui me vient à l’esprit, mais je connais la réponse, c’est la faute à pas de chance.
On le lui a annoncé la veille, et on va devoir le descendre dans le service de pneumologie. Je l’accompagne à sa demande. En entrant dans la chambre, il est déçu de voir qu’il n’y a qu’un seul lit. En effet, Mr L. ne suporte pas la solitude, et il aurait apprécié d’avoir un colocataire.
Avant de le laisser, il me tend une liasse de billets et me fait promettre de lui rendre visite. Je lui dit que je ne peux accepter, mais que je passerai le voir. Mr L. insiste pour que je prenne l’argent, je refuse à nouveau.
Il me serre la main, m’atire vers lui, et me fait la bise en me disant un simple “merci”. C’était le “merci” le plus sincère que je n’avais jamais entendu. J’ai versé ma larme et m’en est allé.
Je suis passé le voir la semaine suivante alors que mon stage était terminé. Nous avons discuté pendant 2 bonnes heures, il m’a dit que c’était mieux là haut, qu’il s’ennuyait ici, tout seul dans sa chambre, il a pleuré, il a rit, il était heureux que j’ai tenu ma promesse.
Je suis reparti en repensant à ce que l’on m’avait dit en cours : “Il faut mettre de la distance avec les patients”, “il faut avoir de l’empathie, et non pas de la sympathie“. J’avais tout faux, mais je m’en serai voulu de ne pas lui rendre visite.
Je décide alors d’espacer mes visites, et ne vais le voir que 3 semaines plus tard. Je croise un infirmier du service, lui demande le numéro de la chambre de Mr L.. Il me demande qui je suis : “Je suis étudiant infirmier, je m’étais occupé de lui en rhumato”. La réponse est glaciale : “Il est mort”. Je tourne les talons et repart vers les ascenceurs.