Les riches heures de Michael Cunningham

Publié le 21 avril 2009 par Fuligineuse


« Mrs Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs…» Cet incipit, aussi connu par les anglophones que l'est chez nous le Longtemps... proustien, Michael Cunningham le cite dans ses Heures, livre que je viens de reprendre après avoir revu le film (excellent) qui en a été tiré. J’imagine que cette phrase doit représenter, elle aussi, tout un monde d’exigence par rapport à l’écriture, qui risque de vous paralyser au moment de se jeter à l’eau – je veux dire de se mettre à écrire, pas de se jeter à l’eau au sens propre comme Virginia Woolf le fit, le 28 mars 1941, dans une rivière appelée Ouse. (C’est curieux d’ailleurs que ce soit cette image qui m’est venue spontanément.)

Les Heures (titre initial donné par Virginia Woolf au livre qu’elle intitula ensuite Mrs Dalloway) est une variation subtile et complexe sur trois destins de femmes, une mise en abyme entre la vérité historique (Virginia Woolf en 1923) et la fiction (Laura Brown à Los Angeles en 1949, Clarissa Vaughan à New York en 1998). La grande réussite de Cunningham, à mon sens, c’est qu’il parvient à ne pas être écrasé par son sujet ; non pas qu’il soit si majestueux – puisque constitué, comme Mrs Dalloway, d’éléments de la vie quotidienne et du tout-venant du flux de la conscience – mais en raison de son ambition. L’absurdité de la vie, son absence fondamentale de sens. Le poids, dans le livre, de la tentation du suicide, abouti pour Virginia comme pour l’un des personnages fictifs, manqué pour un autre.

Il est clair qu’en écrivant ce roman – à la recherche de l’ « autre tigre » de Borgès – Michael Cunningham a voulu rendre hommage au livre qui a fait de lui un écrivain. Il s’en explique dans une interview de 2002 que l’on peut trouver en ligne sur le site de la librairie Barnes & Noble. A la question « Quel a été le livre qui a eu le plus d’influence dans votre vie ? » il répond (je traduis tant bien que mal) :

"Quand j’avais quinze ans, j’ai lu la Mrs. Dalloway de Virginia Woolf, parce qu’une fille qui me plaisait me l’avait jeté en me disant quelque chose comme « pourquoi tu ne lis pas ça pour essayer d’être moins bête ? » Je l’ai lu et, bien qu’étant resté à peu près aussi bête qu’avant, ce fut pour moi une révélation. Je n’avais pas su, jusque-là, que l’on pouvait, que quelqu'un pouvait faire des choses pareilles avec les mots ; je n’avais jamais vu des phrases ayant autant de complexité, de musicalité, de densité et de beauté. Je me souviens m’être dit : « Waouh, ce qu’elle fait avec le langage, c’est comme ce que fait Jimi Hendrix avec une guitare. » Mrs. Dalloway a fait de moi un lecteur ; ensuite ce n’était qu’une question de temps pour que je devienne un écrivain."

Fuligineuse

images : Amazon