A posteriori : République, c'était un bon présage.
Il avait l'air amusé quand je me suis assise de nouveau à côté de lui. J'ai expliqué, j'ai dit que j'étais dans mon livre, j'ai cru avoir loupé ma station. Il m'a dit : lisez, je vous préviendrai. J'ai trouvé ça gentil, et puis drôle aussi, parce comment m'aurait-il prévenu, il ne savait pas où j'allais.
Alors j'ai regardé ses mains. Forcément, il avait beau ne pas être en face de moi mais à côté, des mains comme ça je ne pouvais pas les laisser passer.
- Alors vous me dites que vous lisez et en fait vous regardez mes mains.
Nous avons fait plusieurs essais, nous sommes tombés d'accord que celles là étaient les meilleures, sur fond de bitume ces mains là passaient très bien.
Entre temps on s'était mis à se tutoyer.
De ses mains je sais qu'une des deux ne s'ouvre pas bien car elle a été trouée. La cicatrice se voit peu, sous les dessins. Il y a deux inscriptions en écriture thaïe, son prénom, et le nom de la boxe thaïe, car il en a fait beaucoup. Il a une tête de mort sur la main droite (la moto) et une fleur sur la main gauche. Il a les 5 points (seul entre quatre murs), dont je ne connaissais pas la signification, et qu'il a camouflé pour ne pas avoir d'ennui au travail. Il m'a dit avoir aussi des yeux sur les genoux, un éléphant dans le dos, la tête de Maure Corse sur le poignet, et bien d'autres choses encore qu'il ne m'a pas décrite en détail, car sa peau est un vaste territoire marqué d'absolument partout, et l'emplacement de quelques tatoutages lui est incertain.
Il a fait son premier tatouage à seize ans, et le deuxième, la Corse, il l'a coloré seul, chez (j'ai oublié le nom) à Pigalle. Il m'a demandé si je connaissais l'endroit. J'ai dit non, que c'était un monde qui m'était étranger. Il a rigolé, il m'a dit, faut sortir un peu, Cécile. J'ai déjà sorti la tête de mon livre pour regarder ses mains : c'est un beau début.
Il m'a dit aussi, que sur son pied droit, je crois, toujours à cause de la boxe thaïe, il avait fait inscrire : morituri te salutant.
Ceux qui vont mourir te saluent. On ferait bien parfois, de s'adresser comme ça les uns aux autres : pas pour se donner des coups de pieds, mais pour ne pas oublier de se serrer la main.