"Qu'est ce que c'est que cette histoire d'aller séquestrer les gens? On est dans un Etat de droit, je ne laisserai pas faire les choses comme ça", a déclaré le chef de l'Etat à l'occasion d'un déplacement à Venelles, dans les Bouches-du-Rhône.
"Dans un Etat de droit, la loi doit être respectée. On peut comprendre la colère des gens, mais la colère des gens, elle sera apaisée par des réponses et par des résultats, pas en aggravant les choses en faisant des choses qui sont contraires à la loi", a-t-il ajouté.
"Il y a des comportements d'un certain nombre de patrons qui sont inadmissibles, mais l'immense majorité des chefs d'entreprise souffre de la crise et se comporte formidablement bien", a estimé M. Sarkozy.
En réagissant ainsi, maniant, en habile politicien, la rhétorique la plus parlante, et simple, avec l'art des transitions et des atténuations progressives, Nicolas Sarkozy est tout à fait dans son rôle. On ne voit pas, sauf surprise surréaliste, qu'un représentant de l'Etat, le plus haut, de surcroît, puisse accepter ce qui contrevient au Droit.
Nous aurions la même surprise si le Pape vantait soudain, victime d'une hallucination, les délices du préservatif, ou Rocco Siffredi ceux de la virginité à vie.
Mais la question, nous devons l'élargir, sans nous laisser prendre au jeu de la légalité.
Une des plus élémentaires leçons de philosophie politique consiste à distinguer légitimité et légalité. C'est ce qui fit dire à Rousseau, en son temps, qu'il y avait un droit du peuple à se révolter, c'est-à-dire à opposer la légitimité à la légalité factice, et à affirmer ainsi la supériorité de principe de la première sur la seconde. La légalité, en effet, est toujours celle d'un ordre établi. Si la légalité était en équivalence avec la légitimité, nous serions, de fait, au paradis de l'ordre politique.
Il est vrai que ce sont des concepts dont nous avons la pire peine, aujourd'hui, à penser la pertinence. Les démocraties virtuelles (représentatives, indirectes) en général endorment. Parfois aussi manipulent. Il s'agissait récemment d'identifier les alter-mondialistes aux casseurs et flambeurs strasbourgeois. Le médiatisme s'en chargea, inconscient de son propre rôle.
En réalité, la question qu'une telle démocratie doit se poser est la suivante : son système électoral, archaïque, suffit-il à donner à sa légalité une légitimité ?
Il y aurait donc cette belle distinction entre l'autorité de l'Etat et la violence illégale (séquestrer un patron, en l'occurrence.) Voyez la charge des CRS. Voilà donc l'autorité légale et légitime...
C'est dire que l'image ne vous dit rien, encore, de la différence entre la violence illégitime et la force légale et soi-disant légitime. Le coup de bâton est le même. Rien, même, ne distingue ce genre d'images des pratiques (les moins monstrueuses, certes) des dictatures.
Ce qui suffit à montrer qu'une telle distinction doit rester agissante en notre esprit : confondre la légalité et la légitimité est par excellence un désastre pour une démocratie. Car toute démocratie est ce système de légalité à venir qui tend à rejoindre la légitimité. Comment pourrions-nous dire la légitimité, dès lors, sans contrarier la légalité en amont et retard ?
Bien entendu, il ne s'agit pas d'allumer le feu pour le plaisir des brûlures.
Mais ''l'Etat de droit'' est la plus vieille des ritournelles. A bien l'écouter, Louis XVI serait encore notre tête pensante.
Il faut, absolument, que nous retrouvions un certain sens de l'incivilité citoyenne. Ordonnée à une Idée, l'Egalité, et qui n'aura rien à voir, dès lors, ni avec la violence stupide des brigands, ni avec celle, automatique, des forces étatiques.
Qu'on ne puisse distinguer par l'image vue la légitimité ou l'illégitimité d'une force brute (celle, toute opposée, des casseurs, des CRS, et des révolutionnaires) voilà finalement ce qui doit nous faire réfléchir sur la limite des médias d'abord visuels et nous rappeler que d'autres vecteurs (celui-ci) sont nécessaires à la réflexion sur ce qui a toujours constitué le centre de la politique : la légitimité n'est pas nécessairement la légalité, ni la légalité la légitimité.