Sous ses airs détendus, la jeune femme était aux abois. Après des semaines à donner le change, ses nerfs étaient comme des élastiques à couettes oubliés depuis 6 mois dans un sèche-linge. Mais impossible de se plaindre lorsqu'on a les moyens financiers de transformer sa petite baraque pas terrible en gibier à couverture de magazine déco. Impossible de pester alors qu'un chef de chantier dont le papier à en-tête précise "Médaille du travail 1996" a daigné poser les yeux sur votre projet de réaménagement intérieur. Impossible de râler alors que, travaillant à mi-temps, on veut suivre la progression du chantier au jour le jour. Impossible de hurler votre angoisse alors que votre mari vous fait toute confiance pour bien mener cette affaire et que vos enfants se roulent en boule d'allégresse à la perspective d'avoir enfin chacun leur chambre. Impossible de geindre lorsqu'on se sait appartenir à l'infime tranche de la populatin dont les vies amoureuse, familiale, sociale, professionnelle et financière vont bien. Impossible d'être malheureuse quand on est si heureuse. Même la santé d'Ariane était en pleine santé et, curieusement, ça la déprimait encore plus. A sa décharge, la jeune femme était née sous le signe du Cancer, un patrimone astral bien lourd en période de travaux ; n'importe quel étudiant de première année d'astrologie à la Sorbonne vous dira que lorsqu'on attente à son sens du confort, le crabe, contrarié, commence à claquer des pinces.
Lorsque son époux - un Sagitaire, guère de sensibilité dans le domaine de l'aménagement intérieur - s'enquit de l'avancée des travaux, elle eut brusquement envie de tuer quelqu'un mais prit sur elle et se contenta de répondre : "Ca n'a pas beaucoup avancé, je le crains."