DE L'AUTRE COTE DU LIT (Alix GIROD DE L'AIN)

Publié le 24 avril 2009 par Elisabeth Leroy

Tous les gens qui ont déjà fait des travaux chez eux le savent. Demander : "Alors, ce chantier, ça avance ?, c'est comme demander : Alors, cette chimio, vous en êtes content ?" Pire qu'une maladresse, c'est une faute de goût. Il est étrange que, sur la fameuse échelle du stress mise au point par les psychiatres, les travaux ne soient pas placés au même rang que le licenciement ou la perte du conjoint. Car non seulement, nous le verrons, il n'est pas rare qu'ils les entraînent, mais dans tous les cas, ils provoquent chez la personne chargée d'en assurer le suivi un maelström de sentiments contraires ; espoir (le plombier a enfin trouvé un chauffe-eau aux dimensions de la niche spécialement construite par le menuisier trois mois plus tôt), déception (les mesures étaient en inches, pas en centimètres), satisfaction (le plan de travail en ardoise, c'est vraiment joli), affliction (dommage que les meubles de cuisine en dessous n'aient pas supporté son poids). A la fin, tout cela vous use et il n'y a plus de place que pour le doute, existentiel, parfaitement : '"Est-ce moi qui suis une abrutie ou les autres qui me prennent pour une buse ?". Ce phénomène d'angoisse, qui reste à être décrit par les chercheurs en psychiatrie, est décuplé lorsque les commanditaires des travaux vivent - survivent ? - sur le lieu même du chantier. Ce qui, on l'aura ompris, était le cas de nos héros. Au final, seul un profond bouleversement de la sphère intime d'Ariane Marsiac pourrait expliquer la scène d'une rare violence qui eut lieu au 12 rue du Gai-Pinson, Le Vésinet, Yvelines, en ce jeudi soir de janvier.

Sous ses airs détendus, la jeune femme était aux abois. Après des semaines à donner le change, ses nerfs étaient comme des élastiques à couettes oubliés depuis 6 mois dans un sèche-linge. Mais impossible de se plaindre lorsqu'on a les moyens financiers de transformer sa petite baraque pas terrible en gibier à couverture de magazine déco. Impossible de pester alors qu'un chef de chantier dont le papier à en-tête précise "Médaille du travail 1996" a daigné poser les yeux sur votre projet de réaménagement intérieur. Impossible de râler alors que, travaillant à mi-temps, on veut suivre la progression du chantier au jour le jour. Impossible de hurler votre angoisse alors que votre mari vous fait toute confiance pour bien mener cette affaire et que vos enfants se roulent en boule d'allégresse à la perspective d'avoir enfin chacun leur chambre. Impossible de geindre lorsqu'on se sait appartenir à l'infime tranche de la populatin dont les vies amoureuse, familiale, sociale, professionnelle et financière vont bien. Impossible d'être malheureuse quand on est si heureuse. Même la santé d'Ariane était en pleine santé et, curieusement, ça la déprimait encore plus. A sa décharge, la jeune femme était née sous le signe du Cancer, un patrimone astral bien lourd en période de travaux ; n'importe quel étudiant de première année d'astrologie à la Sorbonne vous dira que lorsqu'on attente à son sens du confort, le crabe, contrarié, commence à claquer des pinces.

Lorsque son époux - un Sagitaire, guère de sensibilité dans le domaine de l'aménagement intérieur - s'enquit de l'avancée des travaux, elle eut brusquement envie de tuer quelqu'un mais prit sur elle et se contenta de répondre : "Ca n'a pas beaucoup avancé, je le crains."